Dandy à ses heures, Gainsbourg restera l'une de ces légendes en demi-teinte, mi-ange, mi-démon. Dr Jekyll et Hyde. Gainsbourg versus Gainsbarre. Sorti en janvier dernier en France, Gainsbourg (vie héroïque), le film de Joann Sfar, débarque sur les écrans espagnols avec un p'tit air de Javanaise bien frenchy. Mélancolique. De cette France de Boris Vian, Juliette Gréco, B.B... et puis, ce Paris, en voie de disparition, où les égéries germanopratines alimentaient les pages de quelque écrivain bohème traînant stylo, cahier, écharpe et veste de velours. Du Lipp, au Flore en passant par Les Deux Magots. Le film montre Serge Gainsbourg évoluant dans ce Paris émoustillant, vivifiant, source inépuisable de toutes les créations artistiques... Gainsbourg le peintre, Gainsbourg l'enfant, apprenant le piano sous l'oeil rigoureux, pointilleux, de son père. Mais Lucien veut être peintre. Une mère russe, aimante, qui le cajole, le dorlote sans jamais le priver de liberté. Le jeune Lucien déjà très tôt esclave du regard des femmes. Séduire à tout prix, lui, le complexé. Le réalisateur s'attarde, pour le mieux, sur les jeunes années bohèmes de Lucien Ginzburg, très tôt attiré par la rue, la peinture, les bistrots où l'on s'encanaille avec la gouaille de l'immortelle Fréhel (courte apparition merveilleuse de Yolande Moreau). A sa sortie, Joann Sfar parlait d'un conte, pas vraiment d'un biopic. Mais il balance entre les deux. Parfois, il convoque Burton (les personnages animés tels que "la patate" ou le double diabolique, le chat qui parle dans la splendide demeure de Gréco...), parfois il plonge à nouveau dans la biographie stricto-sensu, où sont égrenées les principales étapes de la carrière de l'artiste. Poète maudit. Une image impeccable (Joann Sfar vient de la bande-dessinée, via Le Chat du rabbin) et des actrices sublimes, on citera Laetitia Casta, criante de vérité dans la peau de Brigittte Bardot ou Anna Mouglalis, très féline, sous les traits de Juliette Gréco. Mais au-delà de tout, il y a Eric Elmosnino, qui nous bluffe totalement. Car, c'est vraiment Gainsbourg qu'on voit sur l'écran, comme une magie. Il évolue sous nos yeux pleins de souvenirs. Gainsbourg et Jane Birkin (Lucy Gordon), Gainsbourg avec Charlotte et Kate (fille du premier mariage de Birkin avec le compositeur John Barry). La rue de Verneuil, l'appartement noir. Le réalisateur s'attarde aussi sur l'homme à fleur de peau, prêt à bondir ou à craquer. Poète maudit, comme l'ont été ses prédécesseurs du XIXe siècle... Jusqu'à la fin, Eric Elmosnino fait revivre le dandy, le provocateur et l'homme blessé. Une interprétation de géant pour un autre parti trop tôt. L'alcool et les cigarettes. Pas seulement. Le mal de vivre, sans doute. « Je suis l'homme qui a le don d'invisibilité », chantait Gainsbourg dans les années 80. Il en rêvait peut-être, devenir invisible, se débarrasser des contraintes. Dandy décadent vers la fin de sa vie, ne ménageant personne, même pas les siens et surtout pas lui-même. Sûr, qu'il aurait à nouveau fait l'objet d'une véritable censure aujourd'hui, lui qui avait détourné La Marseillaise en reggae. Tout un symbole éreinté. L'une de ses ultimes gifles à un état de fait qu'il détestait : la figure imposée.© Corinne Bernard, juillet 2010. Parution : www.vivreabarcelone.comGainsbourg (vida de un héroe), en salle en Espagne, jeudi 8 juillet (et non pas vendredi 9, comme annoncé). A Barcelone : en v.o, cinémas Verdi, Renoir Floridablanca, Icaria. Et en version espagnole, cinémas Club Coliseum, Sarria, Bosque.