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La vidéo, une tyrannie qui récolte tous les suffrages

Publié le 08 juillet 2010 par Ruddy V / Ernst Calafol

La vidéo, une tyrannie qui récolte tous les suffragesLes tenants de l’arbitrage vidéo ne s’intéressent pas au sport. Ils cautionnent avant tout un monde machinisé dans lequel chacun serait sans cesse sous le coup de d’une punition.

Il faut toujours se méfier des avis qui font l’unanimité. Ainsi, en football, une écrasante majorité des sondés sont en faveur de l’assistance vidéo pour les arbitres. On peut le comprendre pour savoir si le ballon passe la ligne ou pas ; on pourrait aussi imaginer qu’un but soit annulé si l’arbitre-vidéo a repéré un hors-jeu dans l’action. Mais certains sont pour une commission de visionnage après le match, qui détecterait les éventuels faits de jeux non punis. D’autres sont pour la vidéo lors d’une action quelconque, à la demande d’une des équipes. Nous allons voir que ce genre d’arbitrage vidéo serait difficilement applicable.

Il y aura toujours un humain en bout de chaîne

Les souteneurs de la vidéo estiment qu’elle diminuera les injustices sur le terrain, et limitera les débats post-matches centrés sur les faits d’arbitrage.  Pourtant, il est probable que les débats sur d’éventuelles injustices ne s’arrêteront pas du jour au lendemain grâce à la vidéo. Ce ne sera plus « L’arbitre a commis une erreur » mais « L’arbitre vidéo a commis une erreur » ; tout spectateur du foot à la télé sait qu’un ralenti est aussi peu évident à déchiffrer qu’à vitesse réelle. Les progrès technologiques n’y changeront rien : il y aura toujours un jugement humain en bout de chaîne.

Ce qui est également étrange, c’est le moralisme qui entoure ce débat. Quel aura été le premier geste sanctionné par la vidéo ? Le coup de boule de Zidane en finale de coupe du Monde 2006. Trop immoral pour ne pas être puni. Ce geste n’avait rien à voir avec le déroulement du match ; il était hors-action, un règlement de compte entre deux personnalités, en marge de l’action. Passé inaperçu, il n’aurait pas forcément eu de conséquence sur le résultat. Pourtant, il a été puni, de manière illégale, à l’inverse de tas de buts refusés alors que le ballon avait passé la ligne – pourtant, dans ce cas-là, l’effet sur le jeu aurait été plus évident. C’est là que l’on voit que l’instinct « vidéo » est plus prompt à s’éveiller du côté du moralisme qu’en faveur de l’esprit du jeu.

La vidéo apporterait son lot d’injustices

D’autant plus que l’arbitrage vidéo apporterait, lui aussi, son lot d’injustices.

Supposons qu’un joueur soit sans cesse malmené par un autre, mais que l’arbitre ne siffle jamais « faute ». Il décide alors de simuler pour se venger, ça marche , l’arbitre siffle. Mais hop, on fait appel à la vidéo, et le joueur se retrouve expulsé pour simulation. Son adversaire malfaisant gagne donc sur tous les tableaux, avec la vidéo comme alliée ! Il y avait des circonstances atténuantes, mais la vidéo, aveugle, a tranché sur une action. Que pourrait faire un arbitre ? Être davantage à l’écoute des joueurs. Mais ça, on n’en parle jamais : on concentre la critique de l’arbitrage sur l’absence de vidéo…

C’est là que l’humain aura toujours, heureusement, une longueur d’avance sur la machine. Rien ne vaut un arbitre à l’écoute sur un terrain. Sont-ils assez formés et sensibilisés à ce problème ? Voilà ce qui mériterait réflexion, plutôt que de fantasmer sur des solutions vidéos obscures.

Autre exemple d’injustice : si on passe à la vidéo, qui décidera du nombre de caméra et où les placer autour du terrain ? Cela risque de faire débat. Et en ligue 1, il faudra donc pour chaque match le même nombre de caméras. Imaginons qu’une des caméras tombe en panne ? Que fera-t-on en cas de brouillard ? Il y aura injustice puisque l’une des caméras sur l’un des matches sera peut-être inopérante !

Encore un exemple :  une des équipes demande la vidéo sur telle action. Imaginons qu’au second plan de l’action incriminée, l’arbitre aperçoive un type donnant un coup de tête à un autre. Quelle action l’arbitre va-t-il choisir ? Il aura devant ses yeux deux faits licencieux, qu’il choisisse l’un ou l’autre entraînera forcément débat.

Le sens du sport, c’est tout simplement de nous faire vivre des émotions, nous laisser des souvenirs à raconter. Pourquoi notre époque est-elle obsédée par la performance et la moralité, « l’équité » ? Pourquoi se dit-elle toujours : si l’arbitre avait sifflé tel pénalty, nous aurions gagné ?

Les pro-vidéos se prennent pour des oracles

Et l’on en vient à une autre contradiction des défenseurs de la vidéo : ils raisonnent sur des bases imaginaires. Car en quoi l’expulsion d’un joueur, ou la validation d’un but injustement refusé, ira mathématiquement avantager l’une des deux équipes ? Toute situation a une part de justice et d’injustice.

Dans nos vies, les évènements que nous percevons comme injustes à notre encontre ne peuvent-ils pas se transformer en moteur de vie, devenir la raison de nos succès  futurs ? Les injustices que nous ressentons comme telle ne nous sont-elles pas bénéfiques ?

Ou alors, faudrait-il s’arrêter de vivre dès qu’on sent une injustice, faudrait-il rembobiner ? Voilà : un certain arbitrage vidéo est un fantasme de spectateur. Il n’a rien à voir avec le jeu en lui-même, avec ce qu’il y a de plus importants dans le sport. Cet arbitrage vidéo-là, c’est la tyrannie de la technique et du moralisme qui lui est attenant.

On aimerait que nos concitoyens, qui se disent libéraux, cessent de penser qu’en transformant les terrains de foot, et à terme la planète entière, en Big brother, on améliorera le monde. On aimerait que les gens qui défendent ardemment  la vidéo réalisent qu’ils cautionnent, sans le savoir, le totalitarisme qui guette : froid, calculateur, procédurier, implacable. La morale assistée et commandée par ordinateur. Encore un signe que nous avons de plus en plus confiance en nos machines, et de moins en moins en nous-mêmes.

Crédit photo :  kino-eye / Flickr



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