Lorsque l’on songe à la litanie de “satellites” ayant fait partie de l’empire élargi de l’URSS, la Yougoslavie est souvent oubliée. Et pour cause… ce pays socialiste, fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale, connut un destin bien à part de ses confrères polonais, tchèques ou hongrois. En Yougoslavie, l’homme fort du pouvoir se nommait Tito : un autocrate qui, après avoir “libéré” seul son pays (c’est-à-dire sans l’aide de l’armée rouge), allait régner seul près de quarante ans. Après avoir initialement aligné son gouvernement sur le modèle moscovite, Tito allait bien vite rompre définitivement avec Staline pour mieux créer un type d’état inédit, la seule dictature communiste “indépendante” de toute l’Europe ! Véritable patchwork de cultures différentes, la Yougoslavie de l’époque se résume bien par cette phrase éloquente de son chef : “La Yougoslavie a six républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul Parti”. Et comme cela se passe souvent dans les Balkans, ce patchwork s’est révélé une véritable poudrière. À la mort de Tito en 1980, il n’y avait plus personne pour unifier tous les peuples qui donnèrent libre cours à leur nationalisme. La montée en force et influence de la République de Serbie a d’ailleurs donné lieu en 1994 à la terrible guerre que l’on sait…
Cette longue intro historique pour bien vous planter le décor de notre sujet du jour : dans la série “new wave autour du monde”, voici maintenant la musique obscure de Dobri Isak. Le groupe, d’allégeance serbe, est fondé en 1983 et ne compte qu’un unique album à son actif, Mi plačemo iza tamnih naočara (1986). Ce titre mystérieux à nos oreilles, pouvant se traduire librement par “Nous pleurons derrière nos lunettes noires”, vous donnera rapidement une bonne idée du son proposé par le groupe. Sans grande surprise, nous avons affaire à un post-punk aux influences gothiques très marquées. Exit la fureur de vivre, bonjour les rythmes lancinants, les percussions tribales et les voix sépulcrales. Les membres de Dobri Isak ont visiblement écouté beaucoup de Joy Division et de The Cure première période. En cela, ils étaient bien de leur époque, mais compte tenu de leur background particulier, ils avaient aussi bien du toupet et de l’originalité. Édité à seulement 100 copies à l’époque, leur disque avait fait grand bruit. Et au-delà de la curiosité, il vaut vraiment la peine d’être redécouvert aujourd’hui. En voici trois extraits : face à la chanson-titre assez pop, les deux autres, avec leur son brut et “sale”, nous évoquent un Siglo XX venu de l’est.