Mais n’en voulez pas trop à vos anciens professeurs de français. Eux aussi ont subi un terrible traumatisme quand ils rêvaient d’enseigner la langue de Molière. Extrait du Programmes et accompagnement pour les élèves de sixième du Ministère de l’Éducation nationale : « Une approche cohérente des genres veille donc à faire comparer leurs manifestations dans le quotidien et leurs réalisations littéraires, dans une perspective de poétique générale ». Que l’on ne s’étonne plus d’avoir eu des professeurs de lettres aussi aigris que cela, leur formation y est certainement pour quelque chose.
Erik Orsenna emmène son lecteur en le faisant voyager dans l’univers particulier d’une île imaginaire où chacun utilise les mots avec justesse et précaution. Car, comme le dit la quatrième de couverture, « il faut faire attention aux mots (…) Autrement, ils s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver ». La grammaire est une chanson douce raconte l’histoire de Jeanne, une petite fille âgée de dix ans et de Thomas, son frère aîné. Après le naufrage de leur bateau, les deux enfants, dépourvus de leur vocabulaire, vont progressivement retrouver l’usage de la parole grâce aux rencontres (extra)ordinaires qu’ils feront tout au long de leur périple. On découvre ainsi un marché hors du commun où l’on ne vend ni fruits ni légumes mais des mots pour se réconcilier avec les uns ou se venger avec les autres. Une ville des mots où par révolte d’être utilisés à tout bout de champ, écorchés dans la bouche des êtres humains, les mots ont décidé un jour de s’enfuir. Ou encore, une usine, « l’usine la plus nécessaire de toutes les usines » qui assemble les mots et accorde les verbes et adjectifs esseulés.
A la manière d’un conte pour enfants, Erik Orsenna parvient à nous transmettre sa passion pour la langue française. Le résultat est surprenant. On se laisse facilement bercer par la poésie de l’auteur. Les mots deviennent une agréable mélodie visuelle. Orsenna nous emporte avec lui dans un monde onirique et nous laisse doux rêveur sur le rivage de cette île mystérieuse. A n’en pas douter, du rêve à la grammaire, il n’y a parfois qu’un pas.