Délai de prescription d'une action en établissement de filiation paternelle
Des enfants nés hors mariage en Finlande avant l'entrée en vigueur, en 1976, du " Paternity Act " n'ont pu faire établir juridiquement un lien de filiation à l'égard leur père respectif. En effet, les dispositions transitoires de cette législation prévoyaient, uniquement pour ces enfants nés avant 1976, que les procédures en établissement de paternité ne pourraient plus être admises au-delà d'un délai de cinq ans à compter de cette entrée en vigueur. Or, ces enfants initièrent une telle action bien après l'expiration de ce délai (le 1 er octobre 1981), parfois même postérieurement au décès du père putatif, d'où le rejet de leurs prétentions par les juridictions finlandaises. Pourtant, dans chacune de ces deux affaires, la paternité biologique avait été prouvée par des tests ADN réalisés lors de procédures judiciaires. Au surplus, tout au long de leur vie, ce lien de paternité avait toujours été unanimement considéré comme acquis aux yeux des intéressés - enfants et pères - et de leur entourage.
A la suite de sa saisine par deux requêtes distinctes alléguant notamment d'une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour européenne des droits de l'homme fait droit à ces demandes et condamne la Finlande dans deux " arrêts clones" (N.B. : les références indiquées ci-dessous sont celles de l'affaire Gronmark c. Finlande).
A cette fin, la Cour reconnaît tout d'abord e produit d'une juste mise en balance (" l'applicabilité de l'article 8 aux faits de l'espèce et rappelle que "les procédures en établissement de paternité relèvent" de cet article (§ 39). Cependant, elle refuse toujours d'indiquer si ce type de procédure concerne "la vie familiale", préférant se placer sur le terrain de la "vie privée" pour souligner à nouveau que ce dernier concept "comprend des aspects importants de son identité personnelle, tels que l'identité de ses parents" et qu'il n'y a "aucune raison de principe de considérer la notion de 'vie privée' comme excluant l'établissement d'un lien juridique ou biologique entre un enfant né hors mariage et son père naturel" (§ 39 - mais sur l'exclusion du lien de grand-paternité, v. Cour EDH, 3 e Sect. Dec. 5 mai 2009, Rocío Menéndez Garcia c. Espagne, Req. n° 21046/07 - Actualités Droits-Libertés du 6 juin 2009 et CPDH même jour). Passant ensuite à l'examen au fond du respect des obligations étatiques - positives et négatives - dérivées du droit de l'article 8 (§ 41), la juridiction strasbourgeoise reconnaît certes que l'ingérence litigieuse reposait sur une base légale (§ 44) et poursuivait un but légitime (§ 45). Tout autre est néanmoins son analyse quant à la question de savoir si cette ingérence - créée par le délai de prescription de l'action en établissement de la filiation paternelle - est bien l le "droit [des enfants] de connaître leurs origines" vis-à-vis de "l'intérêt d'un père putatif à être protégé contre les revendications relatives à des faits qui remontent à de nombreuses années" (§ 48). a fair balance ") des intérêts concurrents en présence, en particulier
Dans ce cadre, la Cour rappelle que la primauté d'une "présomption légale [...] sur la réalité biologique et sociale" peut aussi être renversée à l'aune de diverses circonstances et, donc, que des " délais rigides de prescription ou d'autres obstacles aux actions" de contestation de la paternité peuvent heurter le droit au respect de la vie privée (§ 48 - Cour EDH, 1 e Sect. 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, Req. n° 74826/01). En l'espèce, un raisonnement identique est mené s'agissant non plus de la contestation mais de l'établissement de la paternité. La Cour fustige les effets néfastes produits en l'espèce sur la situation de certains enfants (§ 54) à la suite de l'application d'un tel délai couperet. Elle indique en effet " des difficultés à accepter un délai inflexible de prescription qui s'écoule sans tenir compte de l'âge de l'enfant et de sa capacité juridique, et qui n'offre aucune exception" (§ 55 - " The Court has difficulties in accepting the inflexible limitation period with time running irrespective of a child's age and legal capacity, and without providing any exceptions to the application of that period ") car, ici, les intéressés " n'ont eu aucune opportunité réaliste de saisir une juridiction du fait de leur [bas] âge durant ledit délai" (§ 55). Cette situation problématique est encore accrue par les preuves concluantes de la paternité biologique issues des tests ADN (§ 56), les juges européens considérant qu'"il est difficile d'accepter que les autorités nationales puissent admettre que la réalité légale contredise la réalité biologique en se fondant sur la nature absolue d'une limite temporelle" (§ 56 - " The Court finds it difficult to accept that the national authorities allowed the legal reality to contradict the biological reality by relying on the absolute nature of the time-limit "). Cet élément présente d'autant plus de poids que "l'intérêt général de la protection de la sécurité juridique des liens familiaux ou les intérêts du père et de sa famille" ne viennent pas le contrebalancer puisque que "l'identité du père biologique du requérant était connu depuis sa naissance [...] et [qu']il ne s'était pas opposé à une confirmation de sa paternité" (§ 58).
Partant, et dans ces circonstances, ce délai de prescription inflexible "porte atteinte à la substance du droit au respect de sa vie privée" (§ 59), violation qui justifie la condamnation de la Finlande (§ 61) à l'unanimité des juges dans les deux affaires.
Sur le plan des principes, la Cour a pris soin de rappeler que "l'existence d'un délai de prescription [au terme duquel la filiation ne peux plus être reconnue judiciairement] n'est pas en soi incompatible avec la Convention" (§ 47) et que les États disposaient d'une marge d'appréciation en la matière (§ 41, 42, 50 et 59). Toutefois, tout en tâchant de qualifier de circonstancielle ou conjoncturelle la situation en cause dans les présentes affaires, les juges strasbourgeois mettent en exergue un point plus structurel en décelant au sein de la législation des États parties une "tendance [...] à une plus grande protection du droit d'un enfant à voir établie sa filiation paternelle" (§ 52-53 - " a tendency could be ascertained towards a greater protection of the right of the child to have its paternal affiliation established "), Ceci, couplé à un autre précédent (mais bien moins clair et motivé - Cour EDH, 2 e Sect. 7 avril 2009, Turnali c. Turquie, Req. n° 4914/03 -Actualités Droits-Libertés du 9 avril 2009 et CPDH même jour), tend donc peut-être à révéler un accroissement de l'intensité du contrôle européen sur ces délais de prescription.
et Backlund c. Finlande (Cour EDH, 4e Sect. 6 juillet 2010, resp. Req. n° 17038/04 et 36498/05) - En anglais Actualités droits-libertés du 7 juillet 2010 par Vuvucolas HERVIEULes lettres d'actualité droits-libertés du CREDOF sont protégées par la licence Creative Common