Je vous avais dit que j'avais travaillé à la 20th Century Fox. Ouais, en fait, je l'ai déjà dit. Deux ans. C'est qu'en fait, quand j'étais petit (bon, OK, ado), je voulais travailler à Hollywood et tout et, surtout, je voulais faire "vendeur de films". Je voulais faire des affiches, des bandes-annonces et plein d'autres trucs du même genre. Et oui, certains veulent faire policier ou GI JOE, moi, je voulais "vendre des films". C'était un peu mon but dans la vie. Et donc, je l'ai réalisé (un peu). J'ai pas du tout fait d'affiche et de bandes-annonces. Mais j'ai fait un peu des titres en français. Ça, par exemple, c'est moi. Et puis ça aussi. Et si vous n'avez jamais entendu parler de ces films, c'est normal, ils sont sortis dans 10 salles. C'est pour ça que c'est les seuls films dont j'ai pu choisir le nom. Bref, j'ai été bien exploité par le grand capitalisme murdochien pendant deux ans et puis bye bye (un peu forcé tout de même).
Si je raconte ça, c'est que cette fameuse société si chère à mon coeur vient de se planter dans toute la largeur et la longueur au box-office américain. Trois fois. En 3 semaines. Attention, ceci n'est ni du ressentiment, ni une petite vengeance personnelle. Point du tout. Juste une constatation : MARMADUKE (pour les marmots), L'AGENCE TOUS RISQUES et KNIGHT & DAY sont des échecs, du moins des déceptions, et il se pourrait bien que ces échecs, en particulier celui de KNIGHT & DAY, soient à imputer à un service en particulier : le marketing. Celui que je connais le mieux, donc.
Régulièrement, l'échec d'un film au box-office est imputé à sa qualité. Des mauvaises critiques pointent du doigt sa médiocrité et puis, bam, le couperet tombe : personne ne s'est déplacé pour aller voir une (soi-disant) merde. C'est un peu ce qui est arrivé tout récemment à SEX & THE CITY 2. Mais les exemples se comptent par centaines, voire par milliers.
Sauf que, dans le cas de KNIGHT & DAY, ce n'est pas vraiment le cas. Sans être extatiques, rares sont les critiques à avoir descendu le film. La qualité n'est pas réellement en cause. Par contre, tout le monde a pointé du doigt Tom Cruise. Depuis son pétage de plomb en mode saut de canapé chez Oprah et ses vidéos scientologues bien flippantes, il n'est clairement plus la star qu'il fut entre 1986 (TOP GUN) et 2005 (LA GUERRE DES MONDES). Deux décennies pendant lesquelles le simple nom de Tom Cruise sur une affiche assurait au minimum 100 millions de dollars dans les caisses. Ce n'est plus le cas mais Cruise reste une valeur sûre. Le succès de WALKYRIE en est la preuve. Attribuer l'échec de KNIGHT & DAY à la seule présence de Tom Cruise en haut de l'affiche serait donc simpliste et une erreur. D'autant qu'il y est accompagné de Cameron Diaz, réputée la star féminine la plus "bankable" du monde. Ca pourrait/devrait faire contre-poids dans le cas où il y aurait un doute sur Cruise.
Reste qu'avec seulement 45 millions de dollars de recettes en trois semaines, clairement KNIGHT & DAY n'a pas trouvé son public. Pour un film dont la production a coûté la bagatelle de 117 millions de dollars et sûrement à peu près autant en marketing, c'est dommage ! J'ai donc décidé de ressortir mon attirail de marketeur ciné pour une petite analyse des raisons potentielles de l'échec de KNIGHT & DAY...
A toute fin utile, je précise que je n'ai pas vu le film et que je n'analyse ici que la sortie US.
1/ LE TITRE
En mars 2009, lorsque le projet du film fut annoncé dans sa version définitive (James Mangold + Tom Cruise + Cameron Diaz), il devait s'intituler WICHITA, un titre bien étrange et pour le moins abstrait rapport à une petite ville du Kansas. Un titre qui aurait pu être parfait pour un western, qui aurait pu passer pour un film indépendant sur la vie quotidienne des habitants de la ville ou même sur un film noir "à la frères Coen" mais absolument pas pour un film d'espionnage à forte dose d'action se déroulant, qui plus est, dans le monde entier. Tom Rothman, Co-président des studios Fox et, par ailleurs, un des hommes les plus détestés des geeks cinéphiles, décida donc de changer le titre, en octobre 2009, pour KNIGHT & DAY soit un titre tout aussi énigmatique qui fait d'abord penser à un film de chevaliers, avant de faire penser à un film d'action. Premier raté. Car un bon titre, c'est primordial. Un titre énigmatique peut être une bonne chose à la seule condition que votre film le soit aussi (voyez INCEPTION cet été, par exemple). Dans le cas d'un film d'action relativement basique, ce qu'il vous faut, c'est des titres comme MISSION IMPOSSIBLE ou DIE HARD et donc dire d'emblée au futur spectateur de quoi il en retourne - quitte à paraître simpliste. Il faut utiliser le nom du personnage, son surnom ou, à défaut, un vocabulaire directement tiré du lexique de l'espionnage ou de l'action.
2/ LA (ou plutôt LES) BANDE-ANNONCE
La première bande-annonce de KNIGHT & DAY est apparue sur les grands écrans américains en décembre 2009 pour correspondre à la sortie d'AVATAR, également un film Fox. Le film a donc logiquement profité, pour son lancement, du plus gros succès commercial de ces dix dernières années. Autant dire que beaucoup de monde, vraiment beaucoup de monde, a vu la bande annonce de KNIGHT & DAY près de six mois avant sa sortie. Pour susciter un premier intérêt, créer de "l'awareness", difficile de rêver mieux ! Sauf que cette fameuse bande-annonce ne disait rien, malgré ses 2'30''. Des scènes d'action grandiloquentes sur fond de Muse, des stars qui cabotinent, voilà ce qu'elle montrait. Ça peut paraître beaucoup mais, après 2'30'' d'explosions, de courses-poursuites, de cascades et de punchlines à gogo, on ne savait toujours pas ce qu'était censé raconté le film. Ce genre de bande-annonce marche parfaitement sur des franchises, des trucs adaptés de comic-books, livres ou jeux vidéos, mais absolument pas sur des films d'action tout neufs - à moins, toujours, que le film ne repose justement sur le mystère. C'est toujours pareil : il faut mâcher le travail au spectateur qui va voir ce genre de films pour se divertir avant tout.
Puis, finalement, la Fox s'est rendu compte de son erreur en constatant que l'intérêt sur le film ne grandissait absolument pas au fur et à mesure que les semaines passaient. La solution trouvée fut donc de balancer autant de montages différents de la même bande-annonce jusqu'à ce moment tant espéré où l'intérêt remonterait (un peu). Résultat : lorsque vous tapez "KNIGHT & DAY TRAILER" dans YouTube, vous vous retrouvez avec une bonne dizaine de bandes-annonces différentes, une (j'avoue la plus efficace) faisant même près de 3'00'' ce qui, avouons-le, est à la bande-annonce ce que Rocco Sifredi est aux bites ! Mais surtout, vous vous retrouvez avec des spectateurs potentiels complètement paumés, bien incapable de dire de quoi parle le film. Comment voulez-vous qu'ils se déplacent après ça ?
3/ L'AFFICHE
L'affiche de KNIGHT & DAY est apparue pour la première fois sur Internet et dans les salles de cinéma au même moment que la première bande-annonce dont je parlais plus haut. Fin décembre 2009. Le nom des stars y apparaît en gros. Normal. Le titre aussi. Toujours aussi normal. Et puis il y a ces personnages "armés" en ombre chinoise sur fond de tâches de peinture censés symbolisés une explosion. Une affiche des plus élégantes très inspirée de Saul Bass, graphiste star des années 50-60 qui a beaucoup travaillé pour Hitchcock (PSYCHOSE, SUEURS FROIDES, LA MORT AUX TROUSSES...) ou Otto Preminger (L'HOMME AU BRAS D'OR, AUTOPSIE D'UN MEURTRE...). Très en vogue en ce moment, il a inspiré les affiches des récents (et indépendants) BURN AFTER READING ou PRECIOUS. Facile donc de comprendre que les pontes du marketing chez Fox ont tenté de positionner KNIGHT & DAY comme un film d'action "haut de gamme" et "adulte". Un peu comme une version contemporaine de LA MORT AUX TROUSSES. Mais si cette affiche était plutôt jolie, elle était aussi plutôt abstraite. ENCORE. Compte tenu du fait que le film avait encore plus de six mois devant lui, on pouvait toutefois légitimement se dire que ce n'était qu'une affiche teaser, juste pour attiser la curiosité. Et puis non. Encore aujourd'hui, c'est toujours cette affiche qui illustre le film, de sa fiche IMDB aux panneaux publicitaires. Là encore, vous vous dites que l'abstraction, c'est beau. Rendre hommage à Saul Bass avec une affiche sobre et classe, c'est très noble. C'est vrai. C'est aussi suicidaire. Désolé d'être brutal, de heurter les petites natures cinéphiles mais, quand la moitié de votre budget est passée dans les salaires de stars comme Tom Cruise et Cameron Diaz, vous montrez leurs gueules. ET EN GROS. Regardez par exemple les posters des films avec Tom Cruise à son apogée : de LA FIRME à NE UN 4 JUILLET en passant par JERRY MAGUIRE, VANILLA SKY ou LE DERNIER SAMOURAÏ, sa gueule prend les 3/4 de la superficie du poster. J'ai déjà écrit à de nombreuses reprises que l'ère des stars étaient bel et bien terminée, remplacée par l'ère des franchises, que les stars n'exerçaient plus le même pouvoir sur les spectateurs qu'il y a 10 ou 15 ans mais le fait est là : dans le cas de KNIGHT & DAY, ça reste le premier argument de vente. Le film ne fait pas partie d'une franchise, n'est adapté de rien, n'a pas des effets spéciaux à couper le souffle, n'a pas un réalisateur de catégorie A (Cameron, Spielberg...), n'a pas une histoire des plus originales et n'a aucun traitement visuel des plus révolutionnaire. Il n'a de vraiment différenciant que ses deux stars. Tenter de se différencier en faisant croire à une sorte de MR & MRS SMITH plus élégant ou de KISS & KILL (sorti une semaine plus tôt) plus adulte, ça ne peut absolument pas marcher. Encore une fois, pour l'été, le basique, c'est le mieux !
4/ LA DATE DE SORTIE
Quand votre film a coûté plus de 100 millions de dollars à faire, l'été se révèle rapidement la meilleure période pour sortir. Les ados et les enfants, les plus gros consommateurs de films au cinéma, sont en vacances et donc 100% disponibles pour se déplacer de nombreuses fois en salles. Et avec deux à trois mois devant vous, il y a, à priori, assez places pour tout le monde, sachant que, dans une année, les films aussi chers ne sont pas légion. Mais y-a-t'il assez places pour un film à 100 millions de dollars que l'on aurait destiné aux adultes ? Un film d'action "haut de gamme et adulte" a-t-il sa place, au beau milieu de l'été, coincé entre TWILIGHT 3 et TOY STORY 3 ? Et surtout, y a-t-il assez de place pour un film "haut de gamme et adulte" qui, sans être mauvais, n'est pas d'une qualité indéniable ? Car si l'ado se fout pas mal de savoir ce qu'à penser le New York Times de la troisième romance émo-vampirique à la mode, le quadragénaire (qui a autre chose à faire l'été), lui, ne s'en fout pas. Vraiment pas du tout. Et donc, si vous comptez ouvrir en plein été un "film pour adultes", même un film d'action, il vaut mieux vous assurer que le film soit bon, très bon. Si ça ne devait pas être le cas, vous n'auriez alors que vos yeux pour pleurer, ni les adultes (plus occupé à autre chose), ni les ados (plus occupé avec TWILIGHT) ne s'étant déplacés. Dans le cas de KNIGHT & DAY, la date parfaite aurait été, il me semble, février-mars, une période venant juste après un mois de vache maigre essentiellement trusté par les comédies et les films d'horreur bas de gamme. Avec son gros budget et ses stars, le film aurait détonné comme d'autres avant lui, de SHUTTER ISLAND à HANNIBAL en passant par WATCHMEN ou 300.
Alors tout ça est évidemment plus facile à écrire à postériori, une fois que le film est sorti, qu'il y a 10 ou 12 mois, lorsque la Fox a commencé à réfléchir sur sa stratégie marketing pour le film. C'est vrai. C'est vrai aussi que le service marketing est constamment en première ligne quand il s'agit de designer les responsabilités (je suis bien placé pour le savoir...). Celles-là devraient également en effet être largement partagées avec ceux qui donnent le feu vert à la production, ceux qui massacrent les films sur la table de montage ou ceux qui imposent des choix artistiques quand leur job est avant tout de gérer des budgets... C'est vrai également que le marketing du cinéma a beau être rationalisé à l'extrême, il se révèle souvent être, au final, une simple partie de poker, un partie de cartes dans laquelle votre talent et la qualité de vos cartes seront primordiaux mais qui, sans un peu de chance, ne vous mènera pas très loin... Tout ça est très vrai !
Mais tout ce que j'explique plus haut reste du bon sens, non ?