En salles : Qui a dit que le cinéma français était trusté par les mêmes têtes d’affiche ? Après Le Prophète et l’éclatante révélation Tahar Rahim, Carlos d’Olivier Assayas fait exploser un nouveau venu, Vénézuélien, comme son personnage : Edgar Ramirez. "Le jour où j’ai rencontré Edgar, il est devenu évident que le film existerait", nous a déclaré le réalisateur (lire son interview). Bel hommage à un acteur dont le jeu intense et magnétique, l’implication physique et la présence animale parviennent à restituer toutes les complexités du personnage. Entretien exclusif avec Edgar Ramirez.
Cineblogywood : Comment entre-t-on dans la peau d’un personnage aussi lourd et complexe que celui de Carlos ?Edgar Ramirez : J’ai énormément lu : histoire contemporaine pour comprendre le contexte politique de l’époque. Puis de la documentation sur Carlos. Enfin, j’ai eu des entretiens avec son entourage proche, dont sa famille. Ensuite, j’ai oublié, et j’ai versé toute cette substance dans le personnage écrit par Olivier. J’étais comme dans un match de foot : on est là, on joue !
Qu’est-ce qui vous a séduit dans Carlos : le personnage, le projet, le réalisateur ?Le réalisateur. Je suis un très grand fan d’Olivier. Mais ce qui m’a attiré dans Carlos, c’est son énorme potentiel de contradictions. C’est un personnage plein de nuances, qui démystifie le stéréotype du révolutionnaire de l’époque, sérieux, intellectuel, dévoué, sacrificiel, qui renonce aux satisfactions de la vie et du plaisir. Carlos était plutôt rigolard, bon vivant, impulsif, fou. Plus perversement, j’étais également fasciné par son insolence, son effronterie, son attitude toujours hautaine. Même au bord de la débâcle, il était toujours convaincu d’avoir raison. Comme un Don Quichotte de la terreur.
Comment êtes-vous parvenu à rendre aussi fluides les transformations physiques du personnage ?J’ai pris du poids et mangé beaucoup de pâtes. Pour moi, la transformation physique de Carlos est une métaphore de la dégradation émotionnelle du personnage. Il était très clair depuis le début que je devais montrer ce passage de l’idéalisme à l’individualisme, de sa volonté de défendre des causes collectives à l’ambition individuelle.
Avez-vous tourné dans l’ordre chronologique ?Pas complètement, mais on a essayé le plus possible.
Vous avez reçu une lettre de Carlos depuis la présentation du film à Cannes. Comment avez-vous réagi ?Oui, j’ai reçu cette lettre avec grande surprise. Ni moi ni l’équipe ne voulions contribuer au débat idéologique, historique ou politique. Le film Carlos est une fiction basée sur des événements réels et imaginaires tirés de l’existence d’un personnage public qui appartient à l’histoire contemporaine. On n’a jamais voulu faire une biographie de Carlos.
Comment sort-on d’un tel rôle ? Le personnage reste-t-il longtemps ancré en vous ?Il n’est pas évident de sortir d’un tel rôle. Les émotions du personnage ne t’appartiennent pas, mais elles te traversent. Et ça, ça t’impacte ! Il faut donc évacuer ces émotions pour se préparer au rôle suivant.
Quelle est pour vous la scène du film la plus représentative du personnage ?Quand il quitte l’aéroport d’Alger, il voit des journalistes, ouvre la fenêtre, les regarde et passe son chemin. Ce moment-là marque un changement : on y perçoit son obsession pour conquérir une place dans l’histoire, son obsession pour la reconnaissance et la célébrité. C’est ce qui est fascinant dans ce personnage : Carlos avait des idéaux et une volonté pour changer le monde ; en même temps, il avait une obsession narcissique pour obtenir une place dans l’histoire. Et les deux coexistent de manière parfaitement équilibrée dans le personnage.
Quels étaient vos modèles d’acteurs ou de personnages pour incarner Carlos ?J’ai mes héros, comme De Niro, Brando, Pacino, Anthony Quinn, Depardieu ou Klaus-Maria Brandauer. Mais je n’avais pas de modèle précis à suivre par rapport à Carlos.
Vous avez également tourné dans Che de Soderbergh. Dans Che, mon rôle est très court et très simple. C’est un rôle choral autour de la figure du Che incarnée par Benicio del Toro. Plus central, mon rôle est du coup plus complexe dans Carlos.
Travis Bickle