Brève de vie.
Après des semaines de préparation secrète accompagnées de mines de conspirateurs, les enfants finissent par vendre le bout de la mèche. Ils laissent filtrer quelques bribes de mélodies et murmurent à notre oreille les paroles des chansons qu’ils répètent pour la chorale de la fête de fin d’année scolaire.
Au fil des jours, la pression monte chez les petits, plus marquée chez les grands. L’idée de chanter devant tant de paires d’yeux aimants braquées sur soi prend, à cet âge, des allures de conquête du monde.
Le dernier samedi de juin, date sacrée entre toutes, des parents fébriles conduisent leur progéniture surexcitée jusque dans la cour de récréation de l’école, sanctuaire des jours scolaires et des jeux enfantins. Les murs de l’édifice, les arbres qui bordent l’espace dénudé laissent perler les rires et les cris de ceux qui l’animent tout au long de l’année. Chaque gravier et chaque feuille de platane a emmagasiné les joies, les petits malheurs, les pleurs comme les rires. Les escadrons de martinets ont dissipés la tristesse au gré de leurs périples, les passereaux ont semé les graines d’allégresse entre les tours des cités et les bâtiments proprets des résidences privées.
Rencontre entre tous, sans barrière et sans préjugés.
Au diable la sinistrose, l’espace où l’on raisonne peut bien se permettre de laisser filtrer un bonheur qui résonne !
Enfin, voir la chair de sa chair monter sur la grande scène colle une boule au ventre aux plus endurcis.
Pendant la représentation, les yeux se camouflent derrière les lentilles irisées des appareils photos et les œilletons indiscrets des caméscopes. Avides, ils capturent chaque nanosecondes de ce temps suspendu où chacun jurerait avoir entendu le chant des anges au milieu d’une pluie d’insouciance.
Les lèvres ânonnent en silence les paroles des chansons : « souffleur musical » fait partie intégrante de la formation supérieure en art d’être parent.
Béats d’admiration et le cœur gonflé d’orgueil, les géniteurs applaudissent à tout rompre devant le sans-faute, soulagés que l’épreuve capitale de la fin d’année se soit déroulée sans anicroches même mineures.
La clôture du spectacle musicale annonce la ruée vers les stands tenus par des parents courageux et des enseignants que plus rien n’effrayent.
Crêpes sucrées, gâteaux confectionnés par des mamans-délices, pop corn boursouflés et mister freeze aux couleurs douteuses font concurrence aux sandwichs-maison, quiches et salades composées.
1 ticket, 2 tickets, 3 tickets… qui n’a pas encore son carnet pour s’offrir des gourmandises et accéder aux activités ?
Vite, vite, le jeu du Chamboul’tout n’attend que les plus habiles pour s’effondrer dans un tonnerre de boîtes de conserves géantes bombardées par des projectiles ravageurs. On croirait assister au siège d’un château fort !
Plus vite encore…
Les intrépides et les sportifs jettent leur dévolu sur le parcours en échasse, truffé d’obstacles et de pièges diaboliques. Qu’il est bon d’avoir triomphé et sut garder son équilibre, sa dignité et ne pas finir assis sur son séant !
On continue !
Barbotez, barbotez doucement, petits canards en plastique, vous serez bien pêchés d’un instant à l’autre et remis dans votre piscine gonflable contre un lot qui fera le bonheur de son gagnant.
On hésite…
La chasse au trésor pose un dilemme de taille.
Jeune Jim Hawkins*, oseras-tu, les yeux sérieusement bandés, plonger tes mains dans des seaux grouillant de lentilles, de spaghettis bien cuits ou de farine fine à la recherche de la clé qui donne accès au trésor ? Le temps est minuté, hâte-toi…
On se repose un instant…
Sur les visages, s’esquissent des papillons, des tigres, des fées ou des dragons.
Jaune, blanc, rouge, les couleurs vives des crayons de maquillage métamorphosent de tendres loupiots en créatures inspirées.
Pendant quelques heures, les petits entrainent les adultes dans leur monde. Ce n’est que justice tant l’inverse est bien trop souvent de mise.
Les soucis et les tracas sont mis de côté, loin, très loin, à des années-lumière de ce qui fait le charme de la période de l’enfance : le plaisir élémentaire, la vie toute simple comme elle vient et « au diable le lendemain ».
Ce jour, si tous les corps ont loin d’avoir encore 10 ans, toutes les âmes ont à peine atteintes l’âge de raison.
*Héros de « L’Ile au Trésor » de Robert Louis Stevenson.