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(K-Drama / Pilote) Comrades (Jeonwoo / Legend of the Patriots) : le déchirement d'une nation

Publié le 07 juillet 2010 par Myteleisrich @myteleisrich

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Le 25 juin 1950, les forces nord-coréennes franchissaient le 38e parallèle, dans le cadre d'une vaste offensive qui allait marquer le début d'un conflit particulièrement meurtrier, la Guerre de Corée. C'était une guerre visant à la réunification, mais elle allait sceller la partition du pays du Matin Calme. En 1953, l'armistice signée consacrerait un retour au statu quo ante bellum maintenu depuis lors.

Ce mois de juin 2010 correspondait donc à la comémoration des soixante ans du déclenchement du conflit. La thématique demeurant évidemment centrale, l'industrie de l'entertainment n'est logiquement pas en reste, sur grand écran, comme sur petit écran. Ainsi, pas moins de deux chaînes sud-coréennes se sont attelées à des projets pour faire revivre cette tragédie. Si le buzz médiatique indiquait qu'il fallait plutôt surveiller avec attention Road No. One, sur MBC, c'est finalement Comrades (Jeonwoo), sur KBS1, qui a tiré son épingle du souvenir de cet évènement historique, s'installant au-dessus de la barre des 15% de part d'audience avec ses premiers épisodes.

Diffusée depuis le 19 juin 2010 (le samedi et le dimanche) et d'une durée prévue de 20 épisodes, Comrades est en fait le remake d'une série datant de 1975. Loin du mélodrama classique, tout en s'en réappropriant certains codes, elle s'inscrit dans un registre assez atypique à la télévision sud-coréenne, celui des fictions de guerre (je vous avoue que je n'en avais encore jamais vues avant cet été et cette double ration). Même si une pointe de relationnel et de sentiments amoureux percent inévitablement entre certains protagonistes, il s'agit donc d'un drama résolument  concentré sur les combattants et la tragédie en cours.

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Le premier atout majeur de Comrades résidait évidemment dans le sujet particulièrement fort que le drama se proposait de nous raconter. Pour ma part, non seulement j'étais très curieuse de découvrir la façon dont il allait être traité par les chaînes sud-coréennes, mais en plus, j'y trouvais également derrière un intérêt purement historique : rien de tel qu'une série sur tel ou tel évènement pour aller me faire ouvrir les livres d'Histoire et découvrir des rayonnages jusqu'à présent inconnus de la bibliothèque. D'autant que, soyons franc, si j'ai quelques souvenirs vagues d'un paragraphe consacré à ce conflit dans le cadre d'un cours sur la guerre froide, tout cela forme des connaissances bien parcellaires, qui se limitent à quelques repères chronologiques qui ne combleraient même pas une fiche wikipedia. En résumé, en avant pour une double découverte des plus intrigantes !

Dès son premier épisode, Comrades choisit de nous plonger directement au coeur d'un conflit déjà entamé, à une période charnière où les rapports de force s'inversent. En effet, après les grandes manoeuvres initiées par le Nord au cours de l'été 1950, la contre-offensive du Sud paraît inarrêtable. En octobre 1950, Pyongyang tombe. Comrades s'ouvre justement sur cette bataille, donnant d'emblée la tonalité de la série, alors que nous vivons l'assaut aux côtés d'une unité de combat sud-coréenne. L'armée nord-coréenne est alors en déroute. La fin semble proche, certains parlent ouvertement de l'hiver. Mais l'intervention chinoise, avec ses centaines de milliers de "volontaires", va redistribuer les cartes et signer le début d'une nouvelle reconquête venue du Nord, obligeant les forces sud-coréennes à se replier en catastrophe.

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Au milieu des ruines du champ de bataille qui constitue son cadre, Comrades justifie son titre alternatif, "Legend of the Patriots", et l'aspect comémoratif sous-jacent, en s'attachant surtout à la dimension humaine de la guerre. Derrière le rappel des idéaux sacrifiés dans la boue des tranchées, la série se place, certes, dans une perspective majoritairement sud-coréenne, mais elle fait cependant clairement le choix de mettre en scène des protagonistes combattant dans les deux camps, n'occultant ni leur diversité, ni leurs conceptions, parfois très personnelles, de ce conflit fratricide.

Ce soin dans la reconstitution se ressent d'ailleurs jusque dans l'effort fait pour bien poser le contexte global, que rend possible la galerie disparate des personnages mis en scène. Aucune des deux armées ne forme un bloc monolithique. Chaque soldat a son histoire et ses propres motivations. Certains obéissent à des logiques géographiques, le Sud contre le Nord. D'autres à des convictions politiques, qui peuvent aller de la volonté de gagner son indépendance face à "l'impérialisme" américain à la lutte idéologique contre le communisme, en passant par ceux qui, simplement, souhaiteraient survivre ; nul n'obéit aux mêmes raisons.

Au-delà de ce tableau très hétérogène d'un pays déchiré, en arrière-plan, Comrades capte aussi une amertume que tous, sud comme nord-coréen, partagent à des degrés divers et qui les rapprochent d'autant : la désillusion commune d'une nation aspirant à se retrouver après plusieurs décennies d'occupation japonaise, et qui voit ses espoirs sombrer alors qu'elle se transforme en champ de bataille d'une lutte qui dépasse son seul cadre. Du soutien apporté au Nord par les "volontaires" chinois aux bombardements constants des avions de l'armée américaine assistant le Sud, c'est une guerre civile aux couleurs très internationales qui se déroule sur leur sol et dans laquelle se noie la souveraineté coréenne.

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Si les thèmes forts du drama sont rapidement et efficacement posés, en revanche, la série va mettre plus de temps à bien installer ses protagonistes. Le premier épisode, condensé de scènes de batailles tout juste entrecoupées de fugitifs passages de détente, se déroule presque sans temps mort, mais sans, non plus, réellement prendre le temps d'individualiser les personnages et d'humaniser ces soldats qui nous semblent tous interchangeables derrière leurs équipements militaires et la saleté qui recouvre leur visage. Certes, c'est un souci commun dans toutes les séries de guerre (les débuts de The Pacific au printemps avaient bien confirmé cette règle), cependant, j'avoue être restée plutôt réservée à la fin du pilote, un peu dans l'expectative concernant les fils rouges qu'allait suivre Comrades pour nous relater cette guerre. Heureusement, j'ai été vite rassurée par la tournure prise par les deux épisodes suivants, au cours desquels la série s'affirme et l'intérêt du téléspectateur grandit.

S'intéressant aux petites histoires au sein de la grande Histoire, Comrades s'attache aux destins d'une poignée de combattants de tous bords. Si la reconstitution des grandes batailles laisse un peu sur sa faim (pour des raisons techniques surtout), en revanche, la description du chaos suivant la contre-offensive nord-coréenne s'avère beaucoup plus piquante et permet du même coup à chacun des personnages de trouver une place. L'armée sud-coréenne en déroute laisse en effet, en territoire ennemi, des unités dispersées, tandis que des déserteurs, des deux camps, tentent, souvent vainement, de s'éloigner des hostilités. Un chaos ambiant très bien reconstitué.

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L'ensemble est certes considérablement romancé, en adaptant les codes scénaristiques classiques de la télévision sud-coréenne à la situation. Ainsi Lee Soo Kyung, femme officier engagée volontaire dans l'armée nord-coréenne, connaît intimement le sergent de l'unité sud-coréenne que nous suivons depuis le début, Lee Hyun Joong. Leurs routes vont se croiser quand le sort d'un général du Sud va être en jeu. Mais qu'importe les coïncidences, puisque, au contraire, cela permet non seulement de déchirer ce voile d'anonymat recouvrant les soldats des deux camps, mais c'est aussi l'occasion de mettre en exergue, de la plus symbolique des manières, le déchirement interne provoqué par cette guerre civile. Un fossé s'est creusé au nom de convictions politiques, mais la différence entre les combattants des deux camps n'est pas si profonde.

Un dialogue, chargé de regrets, entre Soo Kyung et le général du Sud, témoigne à la fois de la distance existant entre eux, mais aussi de cet amour commun pour un pays qu'ils ne conçoivent simplement pas de la même façon. Assujetti aux russes et aux chinois, ou bien aux américains, où se trouve la réelle indépendance ? Chacun aspire pourtant à une unification du territoire sous sa bannière, ne cherchant pas la scission, mais bel et bien une assimilation. Autre signe de cette paradoxale promiscuité, en dressant ce tableau d'une nation scindée en deux, Comrades n'occulte pas la perméabilité de la frontière délimitant chaque camp. Tous les soldats mis en scène ne sont pas bercés d'idéaux, et les failles de la nature humaine et son instinct de survie reprennent parfois le dessus sur la géopolitique.

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En lui laissant le temps de s'installer et de nous intéresser aux destinées de ses personnages principaux, Comrades gagne progressivement en intensité comme en densité. Les trois premiers épisodes que j'ai eu l'occasion de visionner jusqu'à présent m'ont paru aller crescendo ; au fur et à mesure que le drama avance, l'intérêt qu'il suscite croît. J'ai aussi eu le sentiment qu'à partir du moment où la série choisit de rester, plus modestement peut-être, à une échelle humaine, en s'arrêtant principalement sur le sort de sa poignée de protagonistes, elle réussit à acquérir une épaisseur autrement plus convaincante que lors de ses reconstitutions trop ambitieuses.

Mais on touche ici à un registre sans doute purement formel. Recréer de grandes batailles où s'affrontent des centaines de soldats implique d'importants moyens techniques. Certes, Comrades s'en sort très honorablement. Mais sa réalisation demeure aussi prudente qu'extrêmement classique. Elle parvient à générer une atmosphère guerrières des plus tendues. Cependant, au milieu des explosions et des échanges de coups de feu, il est également très difficile de ne pas dresser des parallèles, somme toute naturels, avec d'autres productions de guerre récemment visionnées. Je reconnais que c'est sans doute un réflexe injuste et surtout très subjectif. S'il est évident que ce drama n'a pas vocation à essayer de rivaliser avec une série aussi esthétiquement aboutie que The Pacific (pour parler d'exemples encore frais), j'ai quand même fortement ressenti la différence de moyens budgétaires. Cet aspect plus "cheap" ne remet pas du tout en cause la série sur le fond, mais il laisse au téléspectateur une impression un peu nuancée au cours de certains grands chantiers de reconstitution. 

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Toujours sur un plan formel, en digne fiction comémorative, Comrades aime logiquement la symbolique et les jolis effets de style. Quoi de plus survoltant que la pleine exploitation d'une bande-son assez ambitieuse ? L'utilisation de musiques aux accents volontairement épiques s'inscrit dans la tonalité globale de reconstitution recherchée par la série. D'ailleurs certains morceaux sont très beaux. Finalement, même si leurs recours sonnent parfois un brin excessif, on se laisse facilement emporter par le souffle qui traverse alors le drama.

Enfin, du côté du casting, à la manière de la série elle-même, les acteurs s'imposent progressivement derrière les figures des soldats. La tête d'affiche est composé d'un solide trio, comprenant les acteurs Choi Soo Jong (Emperor of the Sea), Lee Tae Ran (The Woman Who Wants to Marry) et l'impeccable Lee Duk Hwa (Empress Chun Choo), en général de l'armée sud-coréenne dont l'expérience au combat impose le respect dans chaque camp. Ils sont épaulés par une galerie de personnages plus secondaires tout aussi importants pour donner le ton de la série et contribuer à sa richesse et à sa diversité. Parmi eux, on retrouve notamment Kim Roe Ha, Hong Kyung In, Im Won Hee, Nam Sung Jin, Ryy San Wook, Lee Seung Hyo, Park Sang Woo, Ahn Yong Joon, Jung Tae Woo ou encore Lee Joo Suk.

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Bilan : Série de guerre nous plongeant au coeur du conflit, aux côtés des combattants, Comrades ne se départit pas pour autant des codes scénaristiques classiques de la télévision sud-coréenne, afin d'exploiter pleinement une dimension humaine lui permettant de relater les petites histoires au sein de la grande Histoire. Si les moyens techniques limitent la portée de certaines des reconstitutions les plus ambitieuses, le drama gagne progressivement en intensité et en épaisseur, à mesure que ses protagonistes s'affirment et que des fils rouges plus personnels apparaissent derrière le vaste tableau de la guerre. Comémorative, Comrades s'attache également à son contexte. Elle dresse le portrait teinté d'amertume d'une nation qui assiste à son implosion, sous la pression conjuguée des convictions politiques internes et des interventions internationales.

Ainsi, en dépit d'une certaine inégalité, suivant les storylines, et d'une homogénéité d'ensemble encore à travailler, les débuts de Comrades entretiennent la curiosité du téléspectateur. Si la série poursuit sur la voie suivie par les trois premiers épisodes qui vont crescendo, le résultat final peut se révéler très intéressant. Sinon, voici quand même un drama atypique qui mérite le détour, sur un sujet historique et contemporain qui mérite à lui-seul une attention toute particulière.


NOTE : 6,75/10


La bande-annonce :


Une chanson de l'OST de la série, avec des photos promos défilant à l'écran :


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