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Obscurité (37)

Publié le 07 juillet 2010 par Feuilly

La revoir, oui, c’était bien. Mais comment ? Ce soir, il ne fallait pas trop y compter : il commençait à faire noir, déjà, et il ne se sentait pas capable de retrouver la maison de son amie dans l’obscurité. Il n’y avait donc qu’une solution, se réveiller très tôt le lendemain. Sa mère espérait quitter La Courtine à six heures du matin, afin d’être déjà bien loin quand les gendarmes se rendraient compte qu’ils avaient été bernés. Il lui faudrait donc, lui, se lever avant l’aube s’il voulait être revenu à temps. Trois-quarts d’heure de marche dans un sens, pareil au retour, cela faisait déjà une heure et demie. Plus le temps nécessaire pour tenter de rentrer en contact avec la musicienne, cela allait être fort serré. Il n’avait pas le choix, il lui faudrait se réveiller à trois heures et demie au plus tard. Au début, il ferait encore noir, mais en principe le jour se lèverait quand il arriverait dans les environs de la ferme.

Une fois sa résolution prise, il se sentit mieux. C’est presqu’avec joie qu’il alla clouer les planches pour condamner la porte du souterrain. Et tout en maniant le marteau, il se rendait compte que c’était une partie de lui-même qui resterait à jamais enfermée dans cette cave. Il n’y avait pas à en douter, il avait grandi. Quand ils étaient arrivés ici, il était encore presqu’un enfant, mais il avait dû faire preuve de tellement de courage et résoudre des situations tellement délicates, qu’il avait changé. Il avait changé à un point tel que maintenant il envisageait, de sa propre initiative et sans prévenir personne, de s’aventurer dans les bois pour rencontrer une jeune fille. Quelque part, il était fier de lui, même si tout cela lui faisait un peu peur et même s’il ne savait pas encore très bien comment il allait mener cette expédition à son terme. Mais maintenant il osait agir et agir seul. C‘était un grand changement. Et si par malheur les gendarmes devaient un jour les reconduire tous chez cet homme violent qui ne savait que frapper, il savait que désormais il pourrait faire face.

A onze heures, chose inhabituelle, tout le monde est au lit. L’enfant tente de trouver le sommeil, mais il n’y arrive pas. Une question le tracasse : comment être debout à trois heures et demie quand on ne possède pas de réveil ? Il a bien une montre, mais elle n’a pas de sonnerie. La poisse ! Il a tellement peur de rester plongé dans ses rêves qu’il n’arrive pas à s’endormir. Les minutes passent, les quarts d’heure aussi, puis les demi-heures. A un moment donné, il se redresse dans son lit, allume la torche. La montre indique déjà une heure quarante-cinq ! Il calcule qu’il va seulement dormir une heure et demie si cela continue. Il fait et refait ses calculs, évalue le temps nécessaire pour atteindre la clairière, puis celui pour trouver la ferme. A la fin, le sommeil le prend au moment où il se demande comment il va s’y prendre pour entrer en contact avec la jeune fille. Enfin, le voilà qui dort. Mais il dort si bien, qu’il ne se réveille évidemment pas à trois heures et demie, ni même à quatre, mais bien à quatre et demie. Quelle horreur, il est en retard ! Heureusement qu’il avait eu la présence d’esprit de se mettre au lit tout habillé...

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A pas de loup, dans l’obscurité de la maison, il descend l’escalier, dont les marches craquent horriblement. Il a beau faire attention, cela fait un bruit épouvantable dès qu’il pose un pied devant lui : « Crac, crac ». Mais purée, il va réveiller tout le monde ! Le silence ambiant est tel qu’on n’entend évidement que cela : « Crac, crac». La peste soit des vieilles maisons ! Il va se faire repérer, à la fin… Heureusement, le voilà au rez-de-chaussée, il tâtonne jusqu’à la porte, fait tourner la clef. Avec un bruit sec et métallique, la porte s’ouvre sur l’extérieur. La petite Peugeot est là qui attend, fidèle au poste, prête à avaler les kilomètres. Allons, il est en retard, il va falloir rattraper le temps perdu. Il se met donc à trottiner en direction de la forêt. Il fait encore un peu sombre, mais on y voit suffisamment. Il court, il court. Le voilà déjà à la rivière. Il franchit le passage à gué, prudemment quand même, puis repart en direction de la clairière, courant toujours. A la lisière de la forêt, il reprend son souffle deux minutes, tout en se demandant comment il va avertir la jeune fille de sa présence. Il n’en a strictement aucune idée. Bon, le temps n’est plus à la réflexion mais à l’action, et chaque seconde compte.

Il reprend sa course, traverse la clairière étrangement déserte et parvient sur le petit chemin en contrebas. Il a à peine fait quelques pas en  direction de la ferme qu’un coup de feu retentit sur sa droite, à moins de cent mètres de l’endroit où il se trouve. Instinctivement, il se jette à terre et attend. Un deuxième coup de feu part aussitôt. L’enfant n’en mène pas large. Est-ce sur lui que l’on tire ? Il entend comme une cavalcade qui se rapproche. Serait-ce le chasseur qui vient l’achever ? Ceci dit, il n’est absolument pas blessé, il pourrait encore se relever, courir de nouveau, s’enfuir. Mais la peur qui lui tenaille le  ventre est telle qu’il ne parvient plus à faire un mouvement. Dans les fourrés, le bruit se rapproche. Un homme ne ferait jamais un tel raffut. Ils doivent être plusieurs, ce n’est pas possible. Il lève la tête et là, soudain, il les voit. Ils sont trois. Énormes et noirs, impressionnants, foulant tout sur leur passage. Trois énormes sangliers qui traversent le chemin à quelques pas de lui, les yeux exorbités par la peur, la gueule écumante, la tête penchée en avant. Rien ne pourrait leur résister on le sent et d’ailleurs, déjà ils disparaissent dans les taillis de l’autre côté de la route. On les entend poursuivre leur course en ligne droite, à travers tout. Ouf ! Il l’a échappé belle ! Faute d’un ou deux mètres il se serait fait piétiner par ces monstres.

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Le silence, maintenant, est impressionnant. Que faire ? Et surtout que va faire le chasseur ? Traverser lui aussi le chemin et poursuivre les sangliers ? Ce serait étonnant. Il a raté son coup et il le sait. Sans doute va-t-il se diriger vers un autre endroit de la forêt. A moins qu’il ne regagne son domicile, bredouille, sachant qu’il a perdu toutes ses chances pour ce matin. Son domicile ? Et si… Si ce chasseur était le père de son amie ? Cela voudrait dire, alors, que ce père pourrait aussi être l’homme qui a agressé sa mère sur la route de Limoges ? Non, c’est impossible. Celui-là se disait garagiste… A moins qu’il n’ait menti pour mieux attirer sa victime dans un guet-apens, évidemment.

Mais le temps passe et l’heure n’est vraiment pas aux hypothèses. Il doit y aller coûte que coûte et sans traîner encore bien. Il se relève donc et se met à marcher. Il n’ose plus courir car si le chasseur, là-bas, est toujours à l’affût, il risque de le prendre pour un gibier quelconque et faire feu. Mais tout se passe bien et déjà la ferme apparaît au détour du chemin. Comment faire maintenant ? Comment attirer l’attention d’une personne sans réveiller toutes les autres ? Mais qu’est-ce qu’il raconte, toutes les autres ? La pauvre fille vit seule avec son vieux père. Si celui-ci est le braconnier qui s’en prend aux sangliers, il n’y a pas de danger, il n’est pas à la maison. Par contre, si ce n’est pas lui, alors l’homme qui vit ici doit être un sacré dormeur pour n’avoir pas entendu les coups de feu. A son âge, c’est qu’il est manifestement un peu sourd. Il peut donc avancer et carrément aller frapper à la porte. Et puis, si par malheur c’est quand même le vieillard qui ouvre, hé bien tant pis. Il expliquera le  motif de sa visite et voilà tout. Il n’a plus rien à perdre, de toute façon puisqu’il ne remettra sans doute jamais les pieds ici.

Pour aller plus vite, il décide de ramper sous des fils de clôture. Mais ce sont des fils électriques, alors avant de s’engager plus avant, il les teste à l’aide d’une longue herbe, comme un copain d’école le lui a appris autrefois. Il dépose l’extrémité de l’herbe sur le fil et la rapproche petit à petit, jusqu’à ce que ses doigts se trouvent à un centimètre. Non, il n’y a rien. Il saisit le fil dans sa main. Non, aucun danger, il n’y a pas de courant. Alors il ne fait ni une ni deux, il se faufile en-dessous. Le voilà dans une grande prairie, qu’il traverse en oblique en direction de la maison. Une espèce de baraquement en bois et en tôle occupe le centre de cet espace. Il se dit que tout cela n’est pas très esthétique et qu’il ne voudrait pas avoir une horreur pareille en face des fenêtres de sa chambre. Intérieurement, il plaint cette pauvre fille de devoir vivre dans un endroit pareil. Et lui qu’il l’imaginait en princesse, dans un château de conte de fées. Décidemment, il ne vaut pas mieux que Pauline… Mais l’aspect délabré de la propriété ne lui rend pas son amie moins sympathique, bien au contraire. Disons qu’il se sent plus proche d’elle, qu’elle est moins inaccessible et, ma foi, ce dernier point n’est pas pour lui déplaire. Et voilà que tout en marchant il se prend à rêver qu’un jour, quand il sera grand, il reviendra ici et comme aujourd’hui, frappera à la porte. Mais ce sera pour arracher son amie à ce bourbier, car de son côté il aura construit une belle villa de rêve dans un pays enchanteur. Alors elle ne se contentera plus d’effleurer sa bouche, mais elle l’embrassera pour de bon, comme on voit au cinéma, et elle le suivra.

Il en était là de ses réflexions et il venait de dépasser l’horrible cahute de bois quand il entendit un grognement derrière lui. Il se retourna et ce qu’il vit lui glaça le sang : à dix mètres de lui, un énorme verrat de quatre cents kilos le fixait de ses petits yeux cruels tandis que trois autres monstres étaient couchés près d’une marre boueuse et fangeuse. Mais déjà, l’un d’entre eux se redressait et se mettait debout.

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