... Shark sentait peu à peu le vent de la honte s'abattre sur lui. Il avait beau se répéter sa devise préférée "Travail, Infamie, Parti", rien n'y faisait. Il réprima un sanglot avec peine. Et sa gorge. Il ne pensait pas qu'on puisse trouver un jour des preuves que son comptable attitré, Ricky Woerth, ait joué au Pony Express entre lui et Lily-Ann Bettenshort. La vieille héritière pensait jusqu'ici que Ricky et Shark étaient des hommes sur qui on pouvait compter. Et compter, ça, elle s'y connaissait. Lily-Ann était la propriétaire d'une immense fortune léguée par son mari qui avait eu l'excellente idée de racheter des scalps frais aux Indiens afin de les revendre comme des perruques soit disant fabriquées en France. De Georges Washington à Wild Bill Hicock, tout le monde voulait sa perruque. Andrew Bettenshort, le défunt mari, en avait vendu des wagonnets entiers. Ces perruques donnaient à tout un chacun un air suranné de valet de l'ancien monde. Et ça plaisait beaucoup. Parce que le valet, bien.
Lily-Ann Bettenshort pensait tenir en Ricky Woerth un porte-serviette serviable. Mais c'était sans compter sur une fuite émanant d'une de ses employées de maison qu'elle avait rudoyé et qui voulait se venger en déballant toutes ses magouilles une par une. Bien que le train des injures de son ancienne domestique roulait allègrement sur les rails de son indifférence, sentiment qu'elle maîtrisait à la perfection, Lily-Ann sentait que l'affaire tournait au vinaigre. Shark, lui, en entendait des Woerths et des pas mûres depuis deux jours. L'affaire de l'enveloppe des 150 000 dollars s'ébruitait sérieusement et tout le monde commençait à comprendre que la milliardaire avait financé son accession au poste de Sheriff de Chihuahuan en échange d'une certaine mansuétude quand aux transports d'or de la famille Bettenshort vers le Mexique, pays limitrophe où l'on était nettement moins regardant sur la provenance de fonds. Au Mexique, le culte du secret n'était un secret pour personne. Ricky Woerth avait beau se débattre, le couperet de la justice commençait à lui chatouiller la nuque telle une désagréable étiquette en synthétique sur un poncho véritable made in India. L'affaire remontait même jusqu'à Eddie Balldur, un ancien mentor de Shark Ozzie qui avait beau demander à tout le monde de s'arrêter, ça faisait belle lurette que plus personne ne l'écoutait. Bref, Shark était dans une sacrée panade pour ne pas dire une merde noire, une bouse intégrale ou un caca de gala.
Depuis plusieurs semaines, les ennuis s'accumulaient. Entre la diligence privée à usage personnel d'Alan Joyandey, la caisse de cigares de contrebande de Chris White, les insultes raciales de Bryce Hurtafew, les insolents caprices de Drama Jade et les boulettes de Rosy Bachelor, l'image des troupes de Shark Ozzie en avait pris un sacré coup. Son niveau de popularité était tombé tellement bas qu'il avait quasiment un pied dans la tombe. Et vu sa taille, pour arriver à en sortir, ça allait être compliqué. Il avait beau tenir par un testicule la moitié des journaux de la ville et par l'autre toute la justice de Chihuahuan, soit le juge Roy Bean, seul juge à l'ouest du Pécos (voir ici : Pendez-les haut et court. et ici : Duel au soleil.), il sentait bien que le vent tournait. Ses magouilles à répétition telle la fabuleuse invention toute récente de Benjamin Berkeley Hotchkiss, allaient probablement causer sa perte. Et de surcroît, la belle Carlula ne le regardait même plus depuis sa récente rencontre avec TT "Anaconda" Henry qui l'avait toute retournée. Suivant le conseil avisé de sa maman, Shark fila faire une sieste avant de se laisser atteindre par ses noires pensées car il est de notoriété publique que sa maman l'envoyait toujours au lit avant qu'il ne plonge dangereusement vers le côté obscur avec ces mots restés célèbres : "Hé ho Shark ! Va ! Dors !"
... À suivre...
L'original un peu partout dans vos journaux du jour...