Louanger Dieu avec des termes comme «C’est messed up» ou «J’m’en fous», est-ce possible? Il semble bien que oui ! Bienvenue dans l’univers du hip-hop chrétien. Entrevue avec le rapper Minister G.
Murielle Chatelier
«En tant que personnalité publique, je suis conscient de représenter un modèle pour les jeunes. J’ai donc une responsabilité envers eux quand je chante et c’est ce qui me distingue des rappeurs plus mainstream», dit le chanteur Minister G., anciennement connu sous le nom de Gundei.En avril 2007, lors du Gala de la musique urbaine, il a reçu le prix du Meilleur album anglophone pour son œuvre Ghetto Gospel, aux côtés d’artistes comme Manu Militari, Accrophone et le groupe CEA. Figure connue dans le milieu du hip-hop québécois, il ne chante pourtant que des morceaux évangéliques. Pour Minister G, il est clair que le populaire gangsta rap, qui vante les «bienfaits» de la drogue, du sexe, de l’alcool et du banditisme, véhicule des messages plus destructeurs qu’autre chose. L’artiste croit tout de même que cette forme d’art a sa place dans la société, à l’instar du sien.
«Chaque artiste provient d’un milieu différent et ce qu’il véhicule dans ses messages, c’est ce qu’il vit au quotidien. On peut difficilement empêcher qui que ce soit de parler de son vécu. C’est d’ailleurs ce que je fais moi-même : témoigner de ma réalité.», raconte le jeune homme.
Élevé par des parents chrétiens, Minister G. n’a pas toujours respecté les principes qui guident aujourd’hui ses pas. À l’adolescence, il évoluait dans un environnement criminalisé où les vols et les invasions de domiciles étaient monnaie courante. Mais à 33 ans, ce passé est loin derrière lui. Il se consacre maintenant à promouvoir un rap positif, où la parole de Dieu prend toute la place.
Vrai ou faux rap hip-hop?
Loin de se définir comme une chrétienne, Marième Ndiaye, membre du groupe hip-hop québécois CEA et animatrice de l’émission Les Arshitechs du son à Canal Vox, une revue hebdomadaire couvrant l’actualité de la culture hip-hop québécoise et internationale, est catégorique : il n’existe pas de vrai ou de faux hip-hop. «Je trouve que c’est une drôle de formulation que les gens, et même les artistes, aiment utiliser. Pour moi, dans la mesure où tu rappes, que tu as un background hip-hop et que tu respectes les sonorités et le rythme qu’il faut, tu fais du hip-hop. Par contre, ce qui existe, c’est le bon ou le mauvais hip-hop.»Le rap provient d’un contexte de dénonciation d’inégalités sociales et de rébellion. Cette musique, aux propos incendiaires, représente le moyen d’expression des jeunes des ghettos. Marième Ndiaye est d’avis que plusieurs artistes composaient déjà, à l’époque, des morceaux d’un autre acabit, plus festifs. «Il faut être capable de voir qu’il y a d’autres types de rap que le seul traditionnel. Il y a encore des artistes qui militent, comme Imposs, mais le hip-hop s’est beaucoup diversifié depuis ses débuts.»
Le hip-hop et l’Évangile : deux révolutions
D’après le responsable spirituel de l’église Nouvelle Espérance de Rivière-des-Prairies, le révérend Jean Lépine, le hip-hop «va très bien» avec l’Évangile, et c’est sans hésiter qu’il aide les jeunes de son assemblée à promouvoir cette culture urbaine. «Le rap est une musique révolutionnaire qui s’apparente parfaitement à l’Évangile, qui, lui aussi est complètement révolutionnaire. Rappelez-vous, Jésus a bouleversé les pratiques sociales de son époque, notamment en faisant une place aux enfants et aux femmes, alors considérés comme des «choses» négligeables.»
Le cheval de bataille de ce pasteur coloré et mélomane – impossible de ne pas remarquer sa guitare qui trône sur un trépied dans son bureau – est justement de donner une place aux jeunes dans son église. Mais plus que ça, il souhaite les voir mettre en valeur leurs talents naturels.
«Dans notre assemblée, on s’engage à entendre les jeunes, à les aider et à les accompagner. On évite donc d’être des sermonneurs, préférant jouer le rôle d’accompagnateurs ou de grands frères. Et ici, on ne donne pas préséance à un style musical sur un autre.»
Régulièrement, des artistes chrétiens du monde entier se produisent sur la scène de son église, comme le missionnaire Patrice Derrouche, un reggae man de nationalité française vivant en Haïti. Cet ancien toxicomane, dont la vie a radicalement changé «d’une minute à l’autre» lorsqu’il a rencontré Dieu en 1985, était en tournée au Québec au mois d’août dernier.
Ramener les jeunes à Dieu
Pour le révérend Lépine, cette musique originale est un excellent moyen d’attirer les jeunes. Non pas vers lui ou son église, précise-t-il toutefois, mais vers une relation avec Dieu : «S’il y a une société qui a besoin de la présence de Dieu, c’est bien la nôtre. Et les jeunes ont des antennes pour capter si ce qu’on leur dit est véritable ou pas. Si on leur joue la comédie, ils vont s’en rendre compte assez rapidement», croit-il.
«Contrairement aux idées reçues, les jeunes sont formidablement intéressés par la religion», ajoute Solange Lefebvre, titulaire de la Chaire religion, culture et société, de l’Université de Montréal, et auteure du livre Cultures et spiritualités des jeunes. Et selon la spécialiste, l’Église a été une des premières institutions à encadrer les jeunes.
«Aujourd’hui, les jeunes ont des pratiques religieuses à leur image. La musique est omniprésente dans leur monde et il existe toutes sortes de productions musicales chrétiennes, même du rock !». Elle ne s’étonne donc pas de la naissance du mouvement hip-hop chrétien, affirmant énergiquement que la culture populaire a toujours fait partie de l’Église.
«Les jeunes, c’est un monde en soi, et leurs spécificités appellent à la création de ministères adaptés à leur réalité. C’est vrai que les jeunes ne fréquentent plus vraiment les églises traditionnelles ; ils se tiennent plutôt dans des lieux qui leur ressemblent.»
Selon des études récentes, des centaines de groupes de jeunes québécois se réunissent ainsi, dans des cafés par exemple, pour des célébrations religieuses. De plus, Solange Lefebvre souligne que l’un des événements les plus courus par les jeunes sont les Journées mondiales de la Jeunesse, organisées par l’Église catholique. En 2002, le rassemblement international s’était tenu à Toronto et avait attiré plus de 800 000 jeunes.
Fait intéressant à noter dans cet univers en pleine effervescence : le premier rappeur millionnaire de l’histoire du hip-hop, l’américain Kurtis Blow, s’est lui-même tourné vers la spiritualité et a fondé la Hip-Hop Church, à Harlem. En 2007, il a lancé une compilation de rap chrétien, Kurtis Blow Presents : Hip Hop Ministry. D’autre part, selon le portail Top Chrétien, spécialisé dans la vente de musique évangélique, il y aurait actuellement plus de 40 groupes de rap chrétien en France.