La plupart des banques centrales disposent d’un service assurant le recensement des crédits octroyés par les
établissements de crédit, informations communiquées à ces mêmes entités. Ce service est communément appelé centrale des risques.
Au Maroc, avant la mise en place du crédit bureau, le système d’appréciation des risques regroupait la Centrale des Risques de Bank Al-Maghrib (BAM) et trois entités privées : le Système d’Aide et d’Analyse des Risques (SAAR) pour les sociétés de financement, le CIC pour les banques, et la Centrale des Risques (CR) pour les institutions de microcrédit. Au sein de ce système, les crédits accordés aux clients étaient déclarés au-delà d’un certain seuil (100 000 MAD) excluant ainsi la majorité des crédits à la consommation.
La refonte du dispositif marocain de la centrale des risques en 2008 répond à une insuffisance du système antérieur, peu fiable, et ne permettant pas de prendre en compte l’ensemble du périmètre, ni d’apprécier le niveau d’endettement global. Elle s’est traduite par la création du crédit bureau, dont la gestion est externalisée. La mise en place du crédit bureau a pour objectifs :
- le suivi du comportement des emprunteurs
- la prévention contre l’endettement croisé et le surendettement
- un accès au crédit plus large notamment pour les PME
Sur le plan international, la création du crédit bureau s’inscrit dans le cadre du Programme mondial « Credit Bureau », lancé par la SFI depuis 2001, pour le développement du marché et de l’information de crédit dans les pays émergents. Les crédits bureaux privés fournissent en effet une information et des services plus complets aux créanciers.
En délégant la gestion du service de la centrale des risques à un prestataire privé, le Maroc a choisi le modèle de crédit bureau basé sur un partenariat public privé, dans lequel la banque centrale joue le rôle de superviseur. La convention de gestion déléguée, qui marque la création d’un crédit bureau au Maroc, a été signée le 11 février 2008 entre BAM et Experian Services Maroc (ESM). Après plusieurs reports, le crédit bureau est opérationnel depuis le mois d’octobre 2009.
ESM est en charge de la centralisation et du traitement des données sur les engagements accordés aux emprunteurs (particuliers, PME et sociétés) par les établissements de crédit (sociétés de financement, banques et institutions de microcrédit), et de diffuser mensuellement à ces institutions l’encours total sur l’ensemble des engagements. Les données collectées concernent l’historique de crédit et de remboursement, la fiche signalétique de l’emprunteur, sa situation financière, …
Les entités de crédit communiquent mensuellement la situation de tous leurs crédits à BAM qui les transfère à ESM pour traitement. Les données collectées sont ensuite restituées sous la forme d’un rapport de solvabilité, consultable en ligne par les créanciers et les clients. Désormais, toute institution de crédit souhaitant accorer un prêt, est tenue de contrôler au préalable la situation financière ainsi que le niveau d’endettement du client auprès d’ESM.
BAM est donc l’instance de contrôle d’ESM qui a l’obligation de respecter les règles de bonne gouvernance, de confidentialité et de sécurisation des données. Les principales institutions financières marocaines détiennent une participation au capital d’ESM (Attijariwafa Bank, BMCE, BMCI, Société Générale Maroc et la CNIA).
Le Crédit Bureau Maroc ; un succès ?
L’ensemble des parties prenantes bénéficient d’un certain nombre d’avantages liés au fonctionnement du crédit bureau…
- L’économie marocaine : à l’échelle macroéconomique, le passage au crédit bureau doit permettre un accès au financement bancaire plus large et des prêts plus performants, ce qui à terme renforcera la stabilité et la solidité du secteur financier marocain. Le Maroc bénéficie désormais d’une meilleure notation à l’échelle internationale: il a gagné 44 places dans la catégorie « obtention de prêts » du classement Doing Business 2010 de la Banque Mondiale, grâce à la mise en place du crédit bureau, ce qui lui a permis de remporter deux places dans le classement général (en 2010, le Maroc est à la 130° place).
- Les institutions de crédit : la mutualisation et le partage des informations entre les différents organismes de crédits favorisent une meilleure gestion des risques de crédit et de contrepartie. Aussi, les établissements bénéficient d’un processus de traitement des demandes de crédit plus rapide car automatisé, et la consultation du rapport de solvabilité permet une sélection des dossiers plus efficiente. A terme les coûts de traitement devraient se réduire.
- Les consommateurs/emprunteurs : la réduction des coûts de traitement des demandes de crédit pourrait se répercuter sur le coût du crédit, cercle vertueux dont pourraient bénéficier les consommateurs. Le principal avantage attendu est l’accès plus large au crédit notamment pour les PME.
… à condition d’intensifier l’effort
- Un démarrage difficile : le nouveau service de la centrale des risques a connu des débuts laborieux. L’accès aux données par une société privée est considéré comme une violation au secret bancaire pour certaines banques de la place. Aussi, plusieurs remarques ont été adressées à ESM, concernant le coût des services ou le rapport de solvabilité par exemple. La tarification des services proposés par ESM est jugée trop élevée notamment par les institutions de microcrédit. De fait, les inégalités se creusent quant à l’accès à l’information, les institutions de microfinance étant les plus touchées. D’autre part, les entités de crédits émettent des doutes sur la fiabilité des informations disponibles dans le rapport de solvabilité dont les données sont jugées difficiles à interpréter.
- Des dysfonctionnements persistent : du côté des institutions de crédit, le risque opérationnel n’est pas négligeable, notamment au niveau de l’enregistrement des données. En effet, les informations sont souvent mal renseignées dans les déclarations des entités de crédit. Le rapport de solvabilité, outil majeur d’aide au traitement des demandes de crédit dont la consultation est obligatoire avant tout octroi de crédit, n’est pas consulté régulièrement par des sociétés de financement de taille importante.
En dépit du dispositif de contrôle et de suivi de l’utilisation de la base de données, mis en place par ESM, certains organismes de financement refusent de partager leurs données craignant une utilisation à des fins commerciales. L’élaboration d’un code d’éthique par ESM, prévu depuis le lancement du crédit bureau, devrait aider à la résolution du problème.
Les premiers résultats sont encourageants :
En janvier 2009, sur 3,6 millions de contrats reçus par ESM, 2,6 millions ont été chargés par les établissements de crédit, soit 72% environ. Depuis son lancement jusqu’à fin mars 2010, 351 incidents ont été déclarés dont 201 liés aux aspects support et maintenance, 83 à l’accès au Crédit Bureau et 67 contestations du rapport de solvabilité. 90% des incidents ont été résolus. Néanmoins, la gestion des réclamations est encore hésitante et la procédure longue.
Retour d’expérience des crédits bureaux mis en place dans la région MENA
Qu’en est-il des crédits bureaux dans la région MENA ?
Les gouvernements de la région MENA ont renforcé leur soutien à la création de crédits bureaux. Le Maroc est le premier pays du Maghreb à avoir installé ce système, et le troisième dans la région MENA, après l’Arabie Saoudite et l’Egypte.
L’Arabie Saoudite est le premier pays à avoir mis en place un crédit bureau privé. Opérationnel depuis 2004, Simah fournissait au départ seulement les informations de crédits accordés aux particuliers, et la législation sur l’information de crédit est en vigueur depuis 2008 seulement. Pour parfaire son système, Simah a mis en place un service d’information de crédit sur les entreprises en partenariat avec S&P.
Tout comme le Maroc, l’Egypte a rencontré un certain nombre d’obstacles dans la mise en place du crédit bureau (Iscore), lié par exemple à l’enregistrement des données dans des langues différentes (anglais et arabe), et à la différence de formats utilisés par les établissements de crédit pour l’enregistrement des données. Aujourd’hui, le crédit bureau égyptien charge 10 millions de contrats contre seulement 0,9 millions avant sa création. Il couvre un peu plus de 4 millions de personnes et 43 000 PME. Le pays est passé du 157° rang dans la catégorie « obtention de prêts » du classement Doing Business au 71° rang, entre 2007 à 2010, soit un réel progrès depuis la mise en place du crédit bureau.
Plus généralement, la mise en place d’un crédit bureau est une réelle opportunité pour les pays émergents dans le cadre d’une gestion responsable du crédit. Un tel système permet d’assurer la protection des consommateurs et des données, fournit un code de conduite ou « best practice » à l’ensemble des entités de crédit. Aujourd’hui, certains pays manifestent un intérêt croissant à l’égard d’ESM, tels que l’Azerbaïdjan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, qui s’inspirent du modèle marocain.
Si le nouveau système en vigueur n’est pas entièrement intégré par les institutions financières, il a tout de même un impact sur leur mode opératoire. ESM n’est encore qu’au premier stade de fonctionnement, et les objectifs que BAM s’est fixés ne sont pas encore atteints. Néanmoins, l’évolution qui se dessine au Maroc est un bon exemple pour ses voisins maghrébins ou africains, qui ne tarderont pas à suivre le même chemin.
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