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Une écriture pimentée comme les dialogues d'un album d'Aya de Yopougon, une intrigue lumineuse comme la lune sur les nuits agitées de Cotonou : Le Piment des plus beaux jours (2010), première oeuvre de l'écrivain béninois Jérôme Nouhouaï, est une belle surprise. Non, ce n'est pas le roman de l'année, mais cette fiction légère et bien emmenée tient en haleine et, sous une apparence de superficialité, brasse des enjeux plus profonds qu'il n'y paraît.
Nelson est étudiant en deuxième année de droit à l'université d'Abomey-Calavi, à quelques minutes de « zém » de la capitale. Il partage un deux-pièces avec deux camarades : Jojo, coureur de jupons invétéré qui ne pense qu'à ramener des filles au nez et à la barbe du propriétaire, et Malko, intellectuel panafricain très remonté contre les Libanais qu'il accuse d'exploiter, de piller, bref de parasiter le pays. Nelson, lui, songe à ses examens, de moins en moins, et à Josiane, l'intouchable fille d'un ex-ministre, de plus en plus...
Alors qu'à la fac il redouble d'audace pour séduire celle qu'il lui faut à tout prix posséder, celle à laquelle il adresse en pensées des poèmes enfiévrés où la grivoiserie le dispute au lyrisme, la radio distille de sombres nouvelles – une vague d'attentats s'abat sur la communauté libanaise du pays – et Malko se fait de plus en plus rare à l'appartement... Dans l'esprit de Nelson tourmenté par la belle Josiane, un lien de cause à effet se précise peu à peu et, décidément, les examens deviennent définitivement le cadet de ses soucis.
Plusieurs choses dans ce roman. Plaisant à lire, certes, et truffé de trouvailles linguistiques. Mais sur le fond aussi, Le Piment des plus beaux jours se révèle intéressant à plus d'un titre. D'abord, le message, explicite : Jérôme Nouhouaï met en garde contre la xénophobie latente au sein de la société béninoise et qui, insidieusement, gagne du terrain. Quand ce ne sont pas les Libanais qui en prennent pour leur grade, ce sont les Ibos venus du Nigeria voisin qui sont suspectés de tous les crimes et délits.
Second point qui a retenu mon attention : Le Piment des plus beaux jours met en scène avec une rare précision la classe moyenne qui émerge au sud du Sahara. A ma connaissance, peu de romans africains se sont autant inscrits dans le quotidien de cette partie de la population qui, dans chaque grande ville du continent, monte en puissance. Ce qui fait de ce livre une oeuvre résolument contemporaine, ancrée dans son époque, susceptible d'interpeller un large lectorat : chacun y trouvera des résonances avec son propre vécu.
De fait – et l'emploi de la première personne n'y est pas étranger –, on s'identifie très facilement à Nelson, étudiant plus ou moins insouciant qui ne cherche qu'à profiter de ses belles années, étudie le jour, fait la fête la nuit et travaille sur son temps libre pour arrondir les fins de mois. Avec cependant des enjeux bien spécifiques : tentation de l'Occident, émancipation des femmes, démocratisation du savoir... D'autres personnages interviennent, qui nuancent ou précisent les préoccupations, les désirs et les horizons de cette frange, pas encore dorée, plus tout à fait désargentée, de la jeunesse béninoise.
Le Piment des plus beaux jours
de Jérôme Nouhouaï
Le Serpent à plumes, 2010
338 p., 19 euros