Marie-Aude Murail
illustré par Philippe Dumas
L'école des loisirs
562 pages
Résumé:
Charity est une fille.
Une petite fille. Elle est comme tous les enfants : débordante de curiosité, assoiffée de contacts humains, de paroles et d'échanges, impatiente de créer et de participer à la vie du monde. Mais voilà, une petite fille de la bonne société anglaise des années 1880, ça doit se taire et ne pas trop se montrer, sauf à l'église, à la rigueur. Les adultes qui l'entourent ne font pas attention à elle, ses petites soeurs sont mortes. Alors Charity se réfugie au troisième étage de sa maison en compagnie de Tabitha, sa bonne. Pour ne pas devenir folle d'ennui, ou folle tout court, elle élève des souris dans la nursery, dresse un lapin, étudie des champignons au microscope, apprend Shakespeare par coeur et dessine inlassablement des corbeaux par temps de neige, avec l'espoir qu'un jour quelque chose va lui arriver.
Mon commentaire:
Je souhaitais lire Miss Charity depuis longtemps et surtout depuis que je m'intéresse à Beatrix Potter. Je ne m'étais jamais arrêtée à vérifier le nombre de pages de ce fabuleux roman et j'ai eu la surprise de ma vie, en le commandant, de recevoir un très gros pavé. On n'imagine pas un roman pour la jeunesse de plus de 550 pages! Et pourtant, ce livre se dévore comme du bonbon. Je l'ai lu en deux jours, comme une boulimique, incapable de m'arrêter!
Je me suis attachée à Miss Charity, une héroïne originale et franchement amusante, qui me ressemble beaucoup lorsque j'étais petite. L'auteur s'inspire de la vie de Beatrix Potter pour créer Charity Tiddler. Ce n'est donc pas une biographie, mais plutôt un roman qui retrace les grandes lignes de la vie de Potter, en modifiant de nombreux éléments pour en faire une toute autre histoire. On suit Charity de la petite enfance qu'elle passe la plupart du temps enfermée dans la nursery, jusqu'à l'âge adulte. Nous suivons son apprentissage du dessin, ses premières publications, ses succès comme auteure de livres pour enfants. Bien entourée par une imposante famille, des cousins, tantes, oncles, des parents très à cheval sur les conventions, nous plongeons dans l'Angleterre guindée des années 1880.
Miss Charity a de la répartie et beaucoup d'humour. Malgré sa timidité, elle est fonceuse et parvient à ses fins. Ses commentaires et ses tirades (surtout dans les dernières pages avec Kenneth Ashley) sont savoureuses. Charity est une petite fille étonnament moderne, un magnifique portrait de femme différente qui prend sa place et s'offre une vie à la mesure de son talent. Elle n'hésite pas à courir les bois à la recherche de champignons (tout en maculant de boue l'ourlet de sa robe) ou à se déguiser en garçon pour parvenir à ses fins.
Elle vit dans la bourgeoisie anglaise, n'est vraiment elle-même qu'à la campagne, ne danse pas, fait quelques virées dans les bas-fonds et s'intéresse énormément au théâtre. Le roman est particulièrement intéressant sur ce point puisque Oscar Wilde et Shakespeare y ont une grande place. Charity connaît par coeur les pièces de Shakespeare, mais c'est avec celles d'Oscar Wilde que son monde change ostensiblement. En filigrane à l'histoire de Charity, on suit un peu le portrait social de l'époque à travers Wilde et les scandales qui horrifièrent la bonne société. L'originale Charity, qui vit dans une véritable ménagerie, parle à un lapin et passe des heures à dessiner n'y voit, sommes toutes, pas grand chose de bien répréhensible.
Miss Charity est un très gros pavé, qui aborde de nombreux aspects de la société anglaise de son époque: la folie, les domestiques, la médecine, les conventions, l'amour, la place de la femme, le travail, la science, etc. C'est un roman absolument passionnant et très prenant, qui se dévore. Il y a de très nombreuses références artistiques, scientifiques, culturelles et surtout littéraires, qui ravieront les amateurs de ce genre d'histoire et surtout, de cette époque victorienne très particulière. Les illustrations en couleurs qui complètent le livre sont de Philippe Dumas et elles sont particulièrement appropriées.
Miss Charity apporte un vent de fraîcheur. C'est un roman à découvrir, qui vaut largement le détour! Une vraie lecture-bonheur!
Quelques extraits:
"Dès le lendemain, Mademoiselle entreprit de m'enseigner le français. "Bonjour, comment allez-vous? Mon nom est Charity Tiddler, j'ai dix ans." Je retins tout ce que Mademoiselle m'apprit, sans difficulté comme sans plaisir. Je ne voyais pas l'intérêt de dire en français ou en chinois que je m'appelais comme je m'appelais et que j'avais l'âge que j'avais. Mes sujets de préoccupation portaient davantage sur le nombre de poils de la chenille processionnaire et la façon dont s'articule une patte de grenouille. Les leçons de piano m'assoupirent tout à fait. J'ai toujours joué avec autant d'âme qu'une boîte à musique. Les leçons de danse furent catastrophiques. J'étais vive mais sans grâce. Au bout de deux mois, Mlle Legros ne savait plus que faire de moi. J'aurais fait un petit garçon très acceptable, mais j'étais une fillette désespérante." p. 46
"Mademoiselle: Croyez-vous, Cherry, qu'un jour quelqu'un pourra faire oublier à Herr Schmal la perte de sa femme et de ses enfants?
Moi: J'ai eu beaucoup de chagrin à la disparition de Darling Number One. Vous ne l'avez pas connu, mais c'était un crapaud vraiment remarquable. Je n'ai pas pu l'oublier. Mais je me suis attachée à Darling Number Two d'une façon tout à fait satifaisante, aussi bien pour lui que pour moi.
Mademoiselle, l'air désespérée: En effet, c'est encourageant. " p.121
"Je faisais cette expérience étrange qu'une joie qu'on ne peut partager devient presque un chagrin." p.138