«Au train où vont les choses, on peut donc se demander si la FIFA ne finira pas, un jour, par autoriser les clubs les plus riches (le fameux G14 qui regroupe les firmes footballistiques les plus influentes) à recruter à la mi-temps d’un match clé, les meilleurs joueurs de l’équipe adverse dans le but louable de sécuriser, par un résultat encore plus prévisible, leurs investissements financiers et leur cotation en bourse.
(…) Le public qui s’estime cultivé, -disons pour fixer les idées, celui qui lit Télérama, regarde Nulle part ailleurs et prend au sérieux le festival de Cannes- ne sait-il pas, d’avance, que le football est une activité parfaitement futile (vingt-deux individus en short qui courent après un ballon) et qu’il ne doit son regrettable succès qu’à sa fonction évidente de nouvel opium du peuple ? Quant à ceux, assez rares dans de tels milieux (sauf quand la mode l’exige) qui affectent parfois d’apprécier le football, et même d’y comprendre quelque chose, c’est le plus souvent sur ce mode distancié que l’Economie impose à ceux qui consomment ses marchandises « kitsch ».
(…) On serait tenté de croire, en effet, qu’un mépris si tranquillement affiché (il est difficile de ne pas songer ici aux dessins de Cabu, miroir parfait depuis des décennies, de la bonne conscience satisfaite des nouvelles classes moyennes) s’explique avant tout par la timidité et le puritanisme qui caractérisent si souvent la vie réelle des intellectuels.
(…) En exagérant à peine, on pourrait dire ainsi qu’à l’heure du Marché global et de son utilitarisme triomphant, il y a dans les dribbles enchantés et gratuits d’un Ronaldo ou les contrôles extra-terrestres d’un Zidane, comme un pied de nez aux maîtres du monde et à ceux des entraîneurs modernes (devenus malheureusement l’immense majorité) qui se contentent désormais de traduire sous forme de consignes tactiques le froid « réalisme » de ces maîtres. »
(JC Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, 1998)
Cela dit, il fut un temps, pourtant, où je me serais damné pour avoir la figurine Pannini™ de Janvion, Bossis, Tigana, Platini, Castaneda, « l’ange vert » Rocheteau ou Curkovic…et d’autres encore, qui me faisaient rêver quelques soirs de match en famille.
On ne peut pas dire que les choses se soient arrangées depuis quelques années, comme l’écrit remarquablement Michéa. Mais je dois dire que l’ « équipe de France » du moment, cette « bande de voyous avec une morale de mafia », comme le remarque charitablement Finkielkraut, célèbre contempteur de la composition « black-black-black » de notre équipe nationale, emblématique de cette génération caillera dont les sociologues d’Etat des pages Rebonds de Libé ne finissent pas de s’interroger sur les raisons de son désamour avec le peuple français (et dont le BA-BA de la réflexion devrait être qu’il faut un minimum de valeurs civilisationnelles communes pour pouvoir s’identifier à l’Autre…). Avec, au demeurant, une réflexion intéressante sur le reflet que serait cette équipe de notre société, gangrenée par le communautarisme, la sécession, la vulgarité violente de quelques caïds de bacs à sables.
Oui donc, de la gentille Zahia et ses prestations tarifées au pieux Ribéry (dont on apprend qu’il s’est battu avec le méchant blanc –donc raciste- Gourcuff dans l’avion du retour) et à quelques autres icônes du vivre-ensemble™ métissé et anti-raciste au pitre Anelka en passant par le coup de tête de Zizou à Materazzi en finale de la coupe de monde 2006, la boucle est bouclée. Celle de l’arrogance violente et vulgaire d’une cohorte de parvenus en short archétypaux de ce lumpen-prolétariat « de quartiers » célébré à jet continu par nos modernes…
Mieux encore, la réaction d’Escalettes, huile pontifiante de la FFF, et d’Evra, capitaine des Bleus, à l’irruption dans la presse (l’Equipe d’hier en particulier) des propos insultants –mais éclairants- du pitre Anelka à l’égard du pauvre Domenech sont symptomatiques et me rappellent assez les réactions de la presse de révérence après l’affaire du Noctilien : le fond (un jeune gars blanc tabassé gratuitement et sauvagement par quelques « pépites de la nation » maghrébines et sub-sahariennes, des jeunes™, quoi !) passe immédiatement au second plan, l’essentiel étant de châtier celui ou ceux qui ont diffusé la vidéo et permis au plus grand nombre d’en prendre connaissance –éventuellement d’ouvrir un œil sur les prémisses d’une sécession ethnique et religieuse qui ne dit pas son nom) ; de la même façon concernant l’affaire Anelka, ce n’est pas le comportement du joueur et le fait qu’il ait pu s’entraîner le lendemain du match comme si de rien n’était qui fait scandale, mais le fait que la vérité éclate en première page de l’Equipe ("Va te faire enculer, sale fils de pute!") et qu’il y ait un traître au sein du « collectif » (traître dont il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’il s’agit d’une jeune joueur prometteur d’origine bretonne évoluant aux Girondins…, un jambon, quoi !)
Un festival, je vous dis!
Vidéo, une autre époque...d'autres joueurs (qui jouaient au foot)