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Thea Rojzman : une illustratrice sensible

Par Bscnews

Propos recueillis par Julie Cadilhac - bscnews.fr /

thea rojzman

Théa, vous évoquez deux enfants qui sont apparus dans vos tâches de peinture, des enfants imaginaires dans un univers terriblement réaliste: avez-vous eu une expérience particulière avec des enfants en foyer pour écrire ce récit?

Oui, ces enfants sont apparus dans mes tâches, un peu comme surgis de mon inconscient et certainement aussi de ma mémoire. Au début de ma vie professionnelle, tout en suivant mes études, j’ai travaillé dans l’animation et l’éducation spécialisée, j’ai été surveillante aussi dans des collèges et lycées techniques. Certains enfants ou adolescents en souffrance m’ont profondément marquée,  et puis le comportement des professionnels (moi comprise) et celui des institutions ont sans doute aussi laissé en moi un sentiment insupportable d’impuissance et une forme de culpabilité…

Ce roman graphique s'adresse à un public jeune: quelle(s) leçon (s) souhaiteriez-vous que les ados retirent de sa lecture?

Ah non, ce livre s’adresse plutôt aux adultes, malgré ce ton choisi à hauteur d’enfants… Il reste bien sûr accessible aux adolescents, mais ne contient pas de « leçon » pour eux…J’ai plutôt voulu dessiner et dire des souffrances intérieures et peut-être des impasses institutionnelles. En ce sens, si message il doit y avoir, il y est plutôt déposé à l’intention des adultes…Mais je ne veux pas donner de « leçon » surtout pas...J’ai voulu surtout partager des émotions et peut-être une forme d’empathie à l’égard de ces enfants perdus, blessés et parfois violents…

La notion de langage est récurrente au fil du roman - la langue en k inventé par les jumeaux, le lexique jeune, le lexique adultes sociaux: pourquoi?

Peut-être parce que la communication entre les gens au niveau social se limite souvent aux « discours » et que le langage, qui permet de regrouper des communautés, peut servir aussi à en exclure d’autres. Dans le livre, les jeunes ont un langage à eux, les adultes aussi, et puis les deux petits frères en inventent un nouveau qui leur permet d’exclure tous les autres. Je pense peut-être que les relations entre les gens manquent de communication réelle, un rapport aux autres plus sincère, moins codifié, moins « masqué »…La vie sociale est complètement sous l’emprise de ces « jeux » de mots et de multiples autres codes sociaux. Cela est nécessaire à notre organisation, certes, mais cela génère beaucoup de séparations et de violence aussi, je crois…

Vos illustrations insistent sur les regards, je me trompe?

Mes peintures et mes dessins depuis des années montrent très souvent des regards, c’est vrai… Un jour quelqu’un me l’a fait remarquer, je ne m’en étais pas rendue compte…C’est donc totalement inconscient. Maintenant, si je dois me demander pourquoi, je dirais que le regard est un langage à part entière, hors des mots, un langage troublant qui parle du fond de soi, sans tricher. Il dit un peu ce monde du « dedans » que j’affectionne tout particulièrement…Il est aussi une manière forte de communiquer, de rencontrer l’autre autrement.

Dans chacune de vos vignettes, une note de couleur domine: y-a-t-il juste un intérêt esthétique ou avez-vous collé un sens à ces dominantes de couleurs?

Oui, toutes les couleurs choisies ont un sens. Elles disent les humeurs, les ambiances, jouent leur rôle dans cette histoire. Parfois elles accompagnent des états d’âme, parfois simplement un « climat » ambiant, d’autres fois simplement une caractéristique d’environnement. Elles sont très importantes à chaque page.

Quelle(s) raison(s) justifie(nt) pour vous le choix de ce titre?

J’aime cette expression «sages comme une image», on peut la retourner en plusieurs sens, cela m’amusait. Elle dit d’abord simplement cette expression que l’on dit

sages comme une image

aux enfants ou que l’on dira d’eux : ils sont « sages comme des images », sous-entendu qu’ils ne bougent pas, font silence, ne dérangent personne. Les enfants du livre ne le sont pas, loin de là… Par contre, ils se servent de leur imaginaire pour trouver une forme d’apaisement et quelque part de sagesse dans ce monde brutal et confus. L’image ainsi devient créativité, refuge, évasion. Être sage ne signifie plus être immobile et docile, mais plutôt « avoir un sentiment juste des choses». Il y a pour moi une forme de sagesse dans les constructions imaginaires. En ce sens, les enfants (tout comme les adultes) sont parfois très « sages » tout en étant très turbulents !

Auteure et illustratrice: une de ces deux disciplines prédomine t-elle? Avez-vous d'autres cordes artistiques à votre arc?

L’une ou l’autre de ces disciplines a pu prédominer à certaines périodes de ma vie : écrire seulement (poésie, roman, nouvelles…) et à d’autres moments peindre ou dessiner uniquement. Avec le roman graphique ou la BD, je peux faire les deux en même temps… Pour le reste, je fais un peu de musique mais juste pour moi, pour mon plaisir.

Enfin, quel(s) projet(s) en cours pour Théa Rojzman?

Je prépare une expo de peintures et un nouveau livre qui s’intitulera certainement« Dehors Dedans » et qui sortira je l’espère courant 2011. J’ai aussi deux titres prévus en collaboration, en tant que scénariste pour l’un et en tant que dessinatrice pour l’autre, mais je ne sais pas encore à quelle échéance ils seront prêts…


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