La bourse à mi-année / par Alain Sueur

Publié le 02 juillet 2010 par Alains

Les prévisions que nous avions faites début 2010 suivent leur chemin : croissance la meilleure en Chine et en Asie, avec souci de calmer les excès ; reprise aux États-Unis, moins euphorique que les marchés le voulaient mais assez nette ; lanterne rouge pour l’Europe avec le souci nouveau des marchés de pousser les États dans leurs contradictions trentenaires - comment financer un État-providence obèse avec une population active qui se raréfie.

Les risques pointés il y a six mois existent, mais en veilleuse : l’agitation sociale chinoise prend de l’ampleur par des grèves jamais vues pour les salaires mais les révoltes restent individuelles (massacres d’enfants de cadres) et le gouvernement agit sur les prêts bancaires et le cours extérieur du yuan ; l’Iran reste une menace sur le pétrole, mais les inconséquences de sécurité de BP l’emportent sur l’accès futur à l'exploration. Ce sont bien les menaces de ralentissement du dynamisme chinois et de la reprise américaine (notamment le chômage persistant) qui font retomber les marchés. L’objectif support de 3280 sur le CAC40 n’a pas été atteint, mais il se rapproche.

En revanche, le débat sur la dette grecque a pris de l’ampleur. Si nous pensons toujours que la dette des États européens n’est pas un risque systémique majeur, l’enchaînement des conséquences fournit au marché les prétextes pour corriger. La dette grecque a forcé les 27 à créer un fonds de sauvegarde collectif, les agences de notation à examiner les pays trop endettés y compris le Royaume-Uni, tous les gouvernements à se préoccuper enfin de la structure des budgets ! Ce n’est pas si mal pour des questions éludées systématiquement depuis 30 ans. Comme quoi « les marchés » (ces grands méchants) ont bon dos : les politiciens n’agissent que lorsqu’ils ne peuvent plus faire autrement, avec l’excuse habituelle du responsable mais pas coupable (c’est pas moi c’est la crise, Bruxelles, les marchés)…

Ce revirement politique général est poussé par les contradictions à leur paroxysme, signe que nous changeons bien de cycle long Kondratiev. Il s’agit de résorber l’endettement pour réorienter l’investissement dans les productions d’avenir, poussées elles-mêmes par l’innovation technologique et les bouleversements des mentalités et du mode de vie. Il faut penser global et agir local pour sauver la planète et répartir les ressources qui deviennent rares avec le développement mondial. Il y a donc de multiples contradictions à résoudre :

1.Marchés contre gouvernements : les États-providences ne sont pas viables sans réformes profondes – ou bien les États ne seront plus financés par le privé. D’où la nouvelle rigueur qui commande aux comptes publics.

2.Actions contre obligations : les Banques centrales ont baissé les taux pour favoriser le crédit et conforter les entreprises, mais la croissance repart mal dans les pays développés et les taux trop bas trop longtemps favorisent le dérapage des États qui s’endettent à bas prix. Il faut donc normaliser la politique monétaire progressivement pour que l’économie reste saine.

3.Économie contre politique : donner toujours plus de moyens, d’aides, d’assistance sans assurer les financements devient impossible – au risque de dévaluation (ou sortie de l’euro), de dérapages sociaux et d’extrémisme politique. D’où le délicat équilibre en mouvement entre dosage de la relance et rééquilibrage des budgets. Le déficit keynésien est efficace lorsqu’il est provisoire, appliqué à une économie en bas de cycle – il ne peut servir de prétexte perpétuel à la distribution démagogique car il s’agit là d’une dépendance de toxicomane, pas d’un antidouleur pour passer l’opération.

4.Actifs réels contre actifs financiers : en période de baisse de l’inflation et des taxes, les investisseurs préfèrent les actifs financiers où le rendement et la liquidité sont plus élevés. Ce fut le cas des années 1980 et 1990. Les krachs des bulles successives (technologiques 2000, comptabilité Enron/Andersen 2002, subprimes 2007) ont montré les limites des actifs financiers. L’inflation due aux matières premières et à l’énergie, les taxes de retour, font revenir les investisseurs vers les actifs réels. Ce pourquoi l’immobilier monte malgré le tunnel de Friggit (qui montre que les ménages ne peuvent plus le financer avec leurs ressources courantes). L’or monte, le pétrole monte, les matières premières sont devenues un actif boursier stratégique au même titre que les actions et obligations.

5.Industrie contre finance : la croissance viendra de l’industrie, de l’innovation et des exportations – plus de la finance, assommée par des pratiques délirantes et plombée par une décennie au moins de produits toxiques à rembourser ou à provisionner. L’immobilier commercial n’est-il pas un risque qui émerge pour les banques américaines ? De même que les placements en dettes souveraines pour les banques européennes ? Ce pourquoi les marchés préfèrent les secteurs industriels au secteur financier.

6.Productivisme contre développement durable : le changement des modes de vie sera lent, mais est indispensable si nous voulons garder des ressources, éviter les guerres pour leur partage et conserver un niveau de vie élevé.


Ajoutons le constat du chacun pour soi des pays du G20, qui fait se replier sur les intérêts communs des pays du G8. Nous retrouvons l’éternel débat de culture entre l’austérité protestante (budget en équilibre de principe, sanction aux cigales, effort personnel) et l'hédonisme latin (déficit permanent clientéliste, impunité de la dette, assistanat et hédonisme). Et l’écart entre les États-puissance pour lesquels la confiance réside dans la dynamique capitaliste et dans la vertu gouvernementale surveillée par de vrais contrepouvoirs – et les États-clientélistes qui font de la dépense publique le seul moteur sans surveillance.

Nous sommes probablement, depuis le tournant 2000, entrés dans une période de résolution et digestion de toutes ces contradictions, un mauvais temps pour la bourse. Ce pourquoi le trading et la stratégie long terme sont les seuls modes de gestion adéquats aujourd’hui et pour longtemps. Selon l’observation des cycles, une telle période dure entre 15 et 20 ans (17 ans après 1929 !). Mais elle prépare l’essor de l’investissement innovateur suivant. Il y a donc une bonne combinaison de Keynes, Schumpeter et Kondratiev à trouver pour y accéder !