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Cinéma: "Mir wëlle net bleiwen"

Publié le 17 juin 2010 par Paulo Lobo

C’est d’abord un film, un vrai film, que l’on suit pendant plus d’une heure et demie sans que jamais nous effleure un moment d’ennui. Du cinéma, donc, du vrai, du grand cinéma, celui qui regarde et interroge, celui qui ressent et raconte, celui qui émeut et amuse, sans fard ni affect conceptuel. Comme tous les grands films, « Mir wëllen net bleiwen » s’adresse à la fois au grand public et aux sociologues et autres penseurs. Yann Tonnar et Pascal Becker nous montrent des parcours de vie, ou plutôt des impressions de parcours de vie, des Luxembourgeois qui sont partis vivre ailleurs et qui ont trouvé de nouvelles racines aux endroits où ils se sont posés. Quatre expatriations définitives – vers le Canada, le Niger, Israël et l’Indonésie - et une histoire de retour, celui d’une infirmière qui, après avoir travaillé dans des missions humanitaires dans différents endroits à travers le monde, a regagné le Luxembourg avec son époux sud-africain pour y mener une vie familiale empreinte de sérénité. Le film est passionnant de bout en bout, et cela pour plusieurs raisons. Il pose des questions essentielles, qui ne peuvent que toucher au plus profond du cœur tous ceux qui habitent ici, nous tous donc, que nous soyons de nationalité luxembourgeoise ou non – en écoutant ces personnes qui nous semblent si proches nous expliquer pourquoi elles sont parties et en percevant la réalité de leur vie quotidienne, on ne peut que se demander « et moi, pourquoi suis-je ici et pas ailleurs, pour quelles bonnes ou mauvaises raisons, qu’est-ce que ce pays pour moi, cette terre, ces paysages… »
« Il faut partir pour mieux revenir », phrase souvent dite et redite. A travers leur film, Pascal Becker et Yann Tonnar nous permettent, en quelque sorte, de partir avec leurs personnages – dans une sorte de voyage de cinéma – pour revenir au pays après la projection. Peut-être pour voir d’un œil nouveau le territoire qui nous abrite, qui nous nourrit.
Tel Kurtz, reclus dans sa jungle: « L’accident de la naissance », commente avec une lucidité un brin cynique Jos Spartz, le riche businessman qui joue au gouverneur éclairé dans son île en Indonésie – un personnage incroyable qui fait penser au colonel Kurtz d’Apocalypse Now. Qu’est-ce qui fait que, sur cette planète, des gens ont le droit et le privilège d’être riches et protégés, et d’autres gens, la grande majorité, prennent la vie, les tempêtes et tous les malheurs en pleine figure ?
« Mir wëllen net bleiwen » suit, de façon presque naturaliste, l’intégration et les gestes quotidiens de ces familles dans leurs environnements « exotiques », tout en distillant ici et là, toujours à travers les commentaires ou les dialogues des intervenants, des points de vues et des réflexions proprement existentialistes. Parce qu’ils ne sont plus vraiment reclus dans une forteresse blindée, parce qu’ils ont du s’ouvrir au monde, à d’autres formes de communiquer, à d’autres cadres de vie, souvent en étant confrontés frontalement aux différentes misères de l’humanité. Alors, forcément, ils parlent du Luxembourg aisé qu’ils ont connu et du sens nouveau qu’ils ont voulu donner à leur vie. Bien sûr, ils ne sont pas comparables aux immigrés qui frappent aux portes de l’Europe et qui fuient leurs régions pour des questions de vie ou de mort. Bien sûr, ce sont des émigrants volontaires et relativement « nantis ». Mais ce sont surtout des êtres humains qui cherchent à donner un sens à leur vie, qui n’ont pas voulu rester assis dans un conformisme de bon aloi, qui sont partis se confronter avec des échelles de valeurs différentes de celles qui semblaient tracées. Des destins qu’ils se sont choisis. Des départs volontaires, qui, avec leur lot de remises en question, nous interpellent forcément.
Mais le film « Mir wëllen net bleiwen », comme je l’ai écrit plus haut, est avant tout une très belle réussite de cinéma. Il se présente comme un documentaire, mais en fait il est filmé comme une œuvre de fiction, avec des personnages denses et complexes, avec des histoires qui nous sont racontées avec un sens du récit et du montage incroyables, avec des atmosphères riches et vibrantes, avec des images et des plans extrêmement bien composés, le tout bénéficiant d’un montage au scalpel. Les réalisateurs ont l’art de nous plonger dans les ambiances des personnages, de nous mettre carrément dans leur peau, dans leur espace-temps, alors qu’ils vont et viennent et agissent dans leurs univers respectifs. Il y a des scènes qui sont, pour moi, marquantes, très nombreuses en fait, je citerais la visite du Fort Thüngen en compagnie de Patrick Dondelinger – dans un beau mouvement de travelling -, la séquence du vêlage dans la ferme de la famille Elsen – pas facile pour les âmes sensibles, mais en même temps terriblement terrienne et vitale-, les déambulations de Claude Sternberg dans le vieux Jérusalem, Jos Spartz qui nous parle de sa dernière demeure, dans une sorte de désir d’immortalité, les promenades dans les ambiances luxembourgeoises avec la famille de Ronny, un Sud-africain totalement adopté par sa belle-famille…
Il était beaucoup question d’identité luxembourgeoise lors du débat qui a suivi le film. Certains ont relevé la puissance métaphorique des plans tournés dans le Fort Thüngen – ce musée-forteresse en cours de restauration dont l’architecture est extraordinaire, mais dont on se demande comment on va remplir les intérieurs. Quels éléments va-t-on y exposer, que va-t-on pouvoir y dire sur l’histoire et le profil identitaire du pays ? Il a été fait référence de la multiplicité des facteurs identitaires, qui parfois se télescopent de façon complexe. Dans ce contexte, un des points qui me sont venus à l’esprit après ce film, c’est que la culture est un des fondements de toute identité collective. Pour qu’on s’identifie à une région, à une communauté, à une mémoire, pour qu’on puisse se sentir comme « faisant partie » d’un groupement de personnes, il est important de partager des expériences de vie et des expressions artistiques issues de ce « terroir ». Je me réjouis que, depuis quelques années, toute une génération d’artistes, à l’instar des réalisateurs de « Mir wëllen net bleiwen », forgent des regards et des réflexions sur « leur » Luxembourg, nous aidant ainsi, chacun d’entre nous, à construire « son » Luxembourg.
« Mir wëllen net bleiwen » - réalisé par Yann Tonnar et Pascal Becker, produit par Nicolas Steil (Iris productions) - Sortie dans les salles le 18 juin

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