Nicolas Sarkozy paye le prix fort de ses hésitations à remanier son équipe gouvernementale: Joyandet parti, il a sacqué Blanc, et cela ne sert pas à grand chose. Dans les coulisses, Fillon et Baroin tentent de préparer un exercice budgétaire délicat, qui marquera la rentrée sociale en septembre prochain.
Des fusibles inutiles..
Les démissions forcées et surprises d'Alain Joyandet et de Christian Blanc dimanche ont été contreproductives. Tous les commentateurs n'ont retenu qu'une chose: Sarkozy a cédé à la pression médiatique, et ces départs sont marginaux. Loin de divertir l'attention de l'affaire Woerth, ces démissions l'ont renforcé. François Fillon, qui insistait depuis les élections régionales pour remanier et alléger son gouvernement, n'a eu gain de cause qu'à la marge: «Cela fait deux secrétaires d'État en moins et donc deux cabinets supprimés» a confié un conseiller du premier ministre. En refusant de sanctionner vite et bien les ministres coupables d'abus et d'affaires, Nicolas Sarkozy a commis une nouvelle bourde politique. Ses proches tentent de récupérer l'affaire et de prétendre que Sarkozy et Fillon eux-même auraient été les instigateurs de ces démissions. En fait, Alain Joyandet a craqué en fin de semaine dernière et posé sa démission. Sarkozy aurait ensuite exigé le départ de Christian Blanc pour faire bonne figure. Grâce à l'une des réformes sarkozyennes, les deux anciens ministres pourront recouvrir sans problème leur mandat de député...
Lors du point de presse hebdomadaire de l'UMP, Xavier Bertrand était mal à l'aise : «le président de la République avait fait part de sa désapprobation, je crois que le message était clair. Je crois que les choses sont revenues à l'endroit.» Frédéric Lefebvre ajouta : «Les réprobations étaient très claires et elles s'adressaient à ces ministres-là.»
Les deux ont également attaqué la presse et la «machination» dont serait victime Eric Woerth. Selon le Monde, le procureur, contesté, Philippe Courroye envisagerait d'enquêter sur les conditions d'embauche de Florence Woerth par Liliane Bettencourt...
Restent que d'autres membres du gouvernement sont toujours l'objet de critiques à cause des libéralités qu'ils ont prises avec leur charge officielle: Christian Estrosi et Fadela Amara qui ont mis à disposition leur appartements de fonction à leurs proches, et Rama Yade et son hôtel de luxe en Afrique de Sud sont ainsi menacés.
... une rigueur mal partagée...
Cinquante-quatre hôpitaux vont être supprimés, à moins qu'ils ne justifient leur utilité dans les 3 ans. Le Journal du Dimanche en a publié la liste le weekend dernier. Les services de chirurgie de ces établissements ont accueilli moins de 1.500 séjours annuels en moyenne entre 2007 et 2009. Par ricochet, la suppression d'un bloc opératoire entraine la fermeture d'une maternité si l'établissement en accueille une. La ministre de la santé va signer un décret d'ici la fin août. Les justifications avancées, dans le même article du JDD, laissent pantois : «La médecine est de plus en plus spécialisée, alors on peut bien faire une heure de route pour soigner sa cataracte» explique un conseiller de Roselyne Bachelot. «Ces services sont souvent dirigés par des chirurgiens âgés qui prendront leur retraite dans les trois ans, explique avec cynisme un directeur d’hôpital. » pouvait-on entendre du côté de la Fédération Hospitalière de France.
Le gouvernement cherche 3 milliards d'euros d'économies au sein de l'assurance maladie. Eloigner les hopitaux de leurs patients est une idée facile.
La Défense également doit subir un plan d'économies. Il est plus modeste : 3,5 milliards d'euros de réduction budgétaire, mais sur trois ans. La loi de programmation militaire 2009-2014 doit être révisée, même si la Défense verra toujours son budget progresser dans les années à venir (+3,1% de 2011 à 2013). Certains programmes seront reportés, comme la rénovation du Mirage 2000-D. Mais Hervé Morin, lui, tient à son Pentagone à la Française. Le nouveau site, basé dans le 15ème arrondissement de Paris, doit accueillir 10 000 personnes en 2014. Son coût était prévu à 600 millions d'euros d'investissement, financé par le secteur privé (Eiffage, Bouygues ou Vinci), à qui l'Etat paiera ensuite un loyer annuel de 100 millions d'euros par an. Mais le gouvernement espérait revendre ses anciens terrains pour quelques 2,1 milliards d'euros. Pour le moment, sur les 713 millions d'euros de revente prévus en 2009, à peine 15 millions d'euros ont été cédés. En 2010, les ventes n'ont représenté que 51 millions, contre 503 prévus.
Plus généralement, trois missions échapperont au coup de rabot de 10% promis par le chef de l'Etat sur le budget public : la Défense (on vient de le voir), l'Enseignement supérieur et la Recherche, et l'Aide publique au développement. En dévoilant le contenu de ses notes de cadrages, qui définissent le périmètre budgétaire des ministères dans la perspective du budget 2011, François Fillon a réitéré sa promesse de trouver 100 milliards d'euros d'économies d'ici 2013. Mais il faut lire entre les lignes pour comprendre qui sera pénalisé par ce plan de rigueur qui ne s'assume pas.
1. La réduction de 100 000 postes dans la fonction publique génèrera 1,5 milliards d'euros sur 3 ans (soit environ 500 millions d'euros par an). S'ajoute le gel des salaires publics dès 2011, pour atteindre l'objectif rappelé la semaine dernière par François Baroin de 3 milliards d'euros d'économies sur les rémunérations publiques. La seule éducation nationale subira donc près de la moitié de ces réductions d'effectifs, puisque 16 000 suppressions de postes sont annoncés pour 2011.
2. Baroin cherche aussi 10% d'économies sur les 66 milliards d'euros de dépenses dites d'intervention. En d'autres termes, les aides sociales et les subventions. Le ministre du budget avait annoncé la semaine dernière que les mesures destinées aux «publics fragiles», tels le RSA, l'allocation adulte handicapé, ou les aides au logement pour les locataires, seraient épargnées. Ce qui signifient que les autres aides et subventions souffriront d'autant. Une réduction supérieure à 10% des aides à l'embuche et du traitement social du chômage (formation, reclassement, etc) ramènerait la politique d'aide à l'emploi à son niveau d'avant la crise.
3. Divers gels et moratoires ont été confirmés : dotation à l'Agence de financement des infrastructures de transport, grands équipements culturels,
... une fiscalité déséquilibrée
Le gouvernement a visiblement exclu toute remise en cause générale de la fiscalité, à l'exception d'un coup de rabot sur les niches fiscales. Ainsi, le crédit d'impôt immobilier, renforcé en août 2007 dans le cadre de la fameuse loi Tepa, serait menacé. La fiscalité de l'épargne et des hauts revenus reste - pour le moment - inchangée. Le député UMP Gilles Carez remet cette semaine un rapport d'information sur l'application des mesures fiscales. A lire le document, certains constats font froid dans le dos: 468 niches fiscales génèrent 75 milliards d'euros de manque à gagner.
Ainsi, l'impôt sur le revenu ne génère plus que 50 milliards d'euros par an environ (48 prévus en 2010), mais il subit 37,5 milliards d'euros de niches diverses. Le rapporteur note que le gouvernement Sarkozy a certes annulé ou réduit 24 niches pour 3,5 milliards d'euros en 2009, mais qu'il en a créé 33 nouvelles pour 5,7 milliards d'euros d'exonérations ! Parmi les plus importantes, citons les défiscalisations d'emploi à domicile (3 milliards), de frais de garde de jeunes enfants (900 millions), d'équipements de l'habitation principale (2,6 milliards), d'investissements en Outre-Mer (1,2 milliards), et des intérêts d'emprunt immobilier (1,5 milliards).
Comme souvent, certains constats contredisent les arguments gouvernementaux. Ainsi, Sarkozy et Lagarde se félicitaient-ils l'an dernier du plafonnement qu'ils avaient instauré sur les niches fiscales (un maximum de 25 000 euros plus 10% du revenu imposable par foyer) ? Et bien Gilles Carrez livre cette intéressante conclusion : seulement 713 contribuables ont été concernés en 2009 par ce plafonnement, pour 20,7 millions d'euros d'économies ! Au passage, le rapporteur UMP confirme l'argument maintes fois répété contre le bouclier fiscal : «même dans le cas de salaires très élevés, il serait impossible de dépasser un taux moyen [d'imposition] de 50%, sans que n'intervienne une imposition au titre du patrimoine détenu.» (cf. page 26). Autrement dit, le bouclier fiscal protège le patrimoine, pas le travail.
Autre constat, la défiscalisation partielle des intérêts d'emprunt immobilier pour l'acquisition d'une résidence principale ne profite pas aux ménages modestes et coûte ... 1,5 milliards d'euros en 2010 et 2,6 milliards d'euros prévus en 2013 au budget de l'Etat (un chiffre sous-évalué selon le rapport).
Enfin, les avantages fiscaux, on s'en doute, profitent aux plus riches : 10 millions de contribuables se partagent 557 millions d'euros (soit moins de 250 euros d'avantages par foyer et par an). A l'autre extrémité de l'échelle, un millier de contribuables (931) empochent 5,3 milliards d'euros d'avantages fiscaux (cf. tableau page 33). Près de 60% des contribuables français ne bénéficient d'aucun avantage fiscaux (à noter qu'une moitié de Français n'est pas assujetti à l'IR faute de revenus suffisants).
Le même Gilles Carrez relève, dans un autre rapport, que l'Etat a perdu 100 milliards de recettes fiscales en 10 ans (soit depuis 2000), dont 70 milliards à cause des baisses et réductions d'impôts: 1,3 points de PIB en 2000 et 2001 (gouvernement Jospin), encore 1,5 point de PIB entre 2002 et 2006 (Raffarin puis Villepin), et 1,5 points en 2007-2009 (Sarkozy-Fillon). Mais les «cadeaux» fiscaux ont été bien différents entre gauche et droite : sous Jospin, l'essentiel de la baisse d'impôt a été la réduction d'un point du taux de TVA (en 2000), qui explique 40% de la baisse de recettes de la TVA sur la période. Sous Sarkozy, Carrez évalue à 15 milliards d'euros les cadeaux des trois premières années du quinquennat, pour l'essentiel à cause de la loi TEPA et la baisse de la TVA sur la restauration.
Les finances publiques sont déséquilibrées, mais le gouvernement ne voit que ce qui l'intéresse, les aides, allocations et subventions et les services publics.
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