Vincent Cardona a pratiquement l’âge qu'avait Magellan quand il réussit à partir pour un tour du monde dont il n’est pas revenu. Son personnage fait référence à ce navigateur juste avant de décider de partir dans l’espace.
Le film qui se laisse regarder comme une comédie de science-fiction, qui par moments fait rire, par moments donne la chair de poule, est sans doute plus complexe que ce qu’en dit la bande annonce.
Oui, il y a une histoire d’amour. Oui, il est question d’espace et de Programme Spatial du Peuple (PSP). Et si Magellan a été trahi, lâché par les navigateurs qui l’accompagnaient, le héros de ce film, lui, trahit en quelque sorte ses amis pour réaliser son rêve.
Et pourtant, on le suit (de loin), et quand il réussit à s’arracher de l’attraction terrestre, dans la navette accrochée (« comme une moule à son rocher ») à la fusée qui décolle, notre satisfaction est assombrie par le vide qu’il laisse sur terre.
Mais que quitte ainsi ce héros de la conquête spatiale ? Il quitte l’enfance. Non seulement le réalisateur a choisi de filmer son court métrage dans sa région natale (les Côtes d’Armor, « section 22 » dans le film), mais encore son personnage a travaillé avec ses amis d’enfance à ce projet fou du PSP ; il emporte dans sa navette une photo de Frida enfant, Frida, qui l’aime et qu’il aime. Et c’est chez la mère de Hans que celui-ci donne rendez-vous pour révéler la réalisation du rêve, même si ce n’est que révélation virtuelle, sur un écran d’ordinateur. De même que les Pêcheurs de perles de Bizet, dont on entend un extrait après la dispute qui précipite Hans dans la fuite, sont des amis d’enfance et que l’un d’eux trahit la parole donnée pour succomber aux charmes d’une voix entendue « aux clartés des étoiles ». Fin de l’enfance, donc.
Mais Hans et Frida, ce sont aussi les prénoms des nains amoureux et dont le mariage est compromis par Cléopâtre, dans le film de Todd Browning, Freaks. Le nain Hans est séduit par Cléopâtre, comme cet autre Hans est attiré par l’espace, par les nuages. Et l’amour terre à terre, même sincère, c’est comme tirer au fusil vers les nuages. Ça ne fait même pas tomber la pluie. Tout juste celui ou celle qui tire et subit l’effet de recul. On ne peut pas en conclure la fin de l’amour. Ce n'est pas Carmen (encore Bizet), la fille qui danse pieds nus, cambrée, et jette sa chaussure comme pour donner le signal d'une odyssée dans l'espace.
D’autant que le titre du film joue sur d’autres ambiguïtés.
Ma première idée, c’était que l’engin du PSP s’accrochait à la fusée comme un œuf de coucou était déposé dans le nid d’un autre oiseau.
Mais l’expression vient de Nietzsche, et Vincent Cardona a fait des études de philosophie avant de se lancer dans l’aventure du cinéma. Il s’agit, pour le réalisateur, de trouver son propre langage, qui ne vient ni d’une inspiration céleste (que Nietzsche appelle « Coucou-les-nuages »), ni d’une quelconque vérité qui naîtrait des choses elles-mêmes. Nietzsche écrit, dans Le livre du philosophe : « l’homme s’élève loin au-dessus de l’abeille : celle-ci bâtit avec la cire qu’elle recueille dans la nature, lui avec la matière bien plus fragile des concepts qu’il doit ne fabriquer qu’à partir de lui-même. »
C’est ce que fait Vincent Cardona dans ce film où Mathilde Bisson, qui l’accompagnait déjà dans son précédent court métrage, Sur mon coma bizarre glissent des ventres de cygne, incarne une Frida amoureuse, dont le rêve se brise quand celui de son amoureux se réalise, sans espoir de retour.
Coucou-les-Nuages (court métrage de 37 minutes) a été primé au Festival de Cannes 2010, par le jury de Cinéfondation (2e prix), présidé par Atom Egoyan.