Un billet publié au début du mois de mai avait évoqué le “printemps” de la danse arabe, une forme artistique dont la vitalité peut être perçue comme un des signes de changement. Pour autant, la cause est loin d’être entendue et les résistances à ce “langage du corps” sont réelles, y compris dans les formes dites “traditionnelles” de la danse orientale (sur l’origine de cette pratique, voir ce billet). Surtout quand des politiciens s’en mêlent et qu’ils exploitent ce qui leur paraît un filon susceptible de leur attirer à bon compte la sympathie d’une partie de l’opinion, ou tout simplement pour faire parler d’eux.
Dans ce pays où l’administration du droit suit des parcours compliqués, un avocat égyptien, Nabil El-Wahsh (نبيه الوحش : Nabil La-Bête si l’on s’amuse à traduire son nom), vient de déposer une plainte contre le ministre de la Culture, Farouk Hosny (souvent mentionné dans ces chroniques, notamment pour ce billet à l’occasion de sa campagne électorale pour l’Unesco). Les services du ministère ont en effet officiellement patronné le “festival de danse orientale” qui s’est tenu, fin mai, dans un grand hôtel du Caire. Connu comme le loup blanc pour ce genre de coup d’éclat, l’avocat s’élève, dans la plus pure rhétorique du courant conservateur religieux contre « l’immoralité et la dépravation » (الفسق والفجور : des termes déjà utilisés à l’occasion du second épisode de Sex and the City). Si les corps des ballerines sont bien entendu une incitation à la prostitution, le pire à ses yeux semble être le fait que des hommes aient été eux aussi autorisés à porter des tenues de danse apparemment très inconvenantes ! (voir cette info en arabe)
Le corps, ou plus exactement la nudité, avait également été l’occasion d’un autre billet à propos de la présence de ce corps au cinéma, et dans la peinture contemporaine. Dans l’excellent supplément culturel que publie chaque vendredi le quotidien Al-Safir, Soha Mustafa (سها مصطفى) revient sur cette question dans une contribution intitulée Le nu a disparu de l’art syrien et s’est transformé en commerce. L’article s’ouvre sur une anecdote savoureuse, celle du peintre syrien Fateh Al-Moudarres qui, ayant demandé à ses étudiants à l’époque où il enseignait aux Beaux-Arts de Damas de représenter une girafe, découvrit une série de dessins où l’animal apparaissait sans tête ! Un collègue professeur de religion était passé par là… En effet, dans l’imaginaire populaire, représenter une figure humaine est toujours susceptible d’apparaître comme une manière de vouloir rivaliser avec les pouvoirs du Créateur divin. D’où la solution, adoptée par bien des artistes contemporains, de s’éloigner du réalisme et de se “réfugier” dans l’abstraction ou encore le lettrisme (al-hurûfiyya, un mouvement qui exploite le potentiel plastique de l’alphabet arabe : voir cet ancien billet).
Aujourd’hui, dans le contexte d’un marché de l’art qui, en particulier en Syrie, connaît une croissance assez extraordinaire (phénomène déjà évoqué et sur lequel on reviendra), cette tendance à une abstraction de bon aloi est fort probablement renforcée par les goûts de la riche clientèle des pays de la Péninsule arabe. D’eux-mêmes, ou bien à la suggestion de certains galeristes, de jeunes créateurs actuels sont ainsi tentés de se conformer à une sorte de nouveau canon esthétique que dicterait le marché roi, par exemple en accentuant le caractère difforme de certaines représentations, qui perdent ainsi de leur réalisme et sont plus facilement acceptées.
Pour autant, nombre d’artistes savent également jouer avec subtilité de cet éventuel interdit de la représentation, tout de même assez virtuel, comme le note la journaliste, si l’on en croit le nombre de statues et de monuments érigés à la gloire des dirigeants arabes !
Oeuvres de l’artiste syrien contemporain Sabhan Adam.