A quelques minutes de la station centrale de Jérusalem et de ses chaotiques carrefours, la vallée désertée semble soupirer sous le vent. Au détour d'un toit nous croisons un renard qui s'enfuit. Déjà nous remontons vers la route bravant orties et chardons. Dans quelques heures c'est toute la ville qui s'arrêtera pour shabbat. En attendant, le souk brasse une marrée humaine qui dans la cohue des cabas est venue s'y approvisionner. Entre odeurs d'épices et d'herbes fraiches, un glacier fête le nouveau mois avec ses sorbets acidulés. Mandarine, fruit de la passion, grenade, cactus, ou pamplemousse-basilic?
Défiant la traditionnelle échéance du milieu du mois lunaire de Shvat, les amandiers sauvages ont fleuri. Les grillons hantent les buissons, les oiseaux remontent par milliers de leurs lointaines migrations africaines, les abeilles butinent. Il fait frais dans les maisons de pierres de Lifta, mais l'air de ce mois de Janvier à Jérusalem est résolument printanier. L'hiver n'aura pas eu lieu.
Ce vendredi matin, nous nous faufilons dans les maisons à l'abandon du village arabe de Lifta, aux abords de la ville moderne. Les eaux de sa source, supposée déterminer la frontière biblique entre les tribus de Benjamin et de Judah, continuent d'abreuver les racines assoiffées des arbres et cactus de la vallée. En 1948, lors des combats opposant les forces arabes aux troupes de la Haganah¹, le village fut vidé et abandonné. Un demi-siècle plus tard, alors que chaque dunam² de terre semble parfois disputé, le sol est ici en friche et les ruines des maisons se dressent parmi les herbes folles dans un déconcertant silence.