Magazine Moyen Orient
Dans le bus 18 qui descend vers le centre ville, il y a une fille aux cheveux bleus qui rêve. Elle est assise, toute seule. Devant elle, deux garçons orthodoxes - cheveux noirs, pantalon noir à pli, pull en coton noir, kippa noire - qui l'épient persuadés d'être discrets. Sous prétexte de suivre les (lents) développements du chantier du tramway, ils se retournent sans cesse et s'échangent au passage un regard complice.
Deux vieillards installés à l'arrière les contemplent d'un air réprobateur avant de se lancer dans une discussion presque chuchotée, en Yiddish. C'est le signe des sectes ultra-orthodoxes du quartier de Mea Shearim, pour la plupart anti-sionistes, qui pour mieux signifier leur refus de reconnaissance de tout symbole national s'opposent à l'usage de l'Hébreu moderne au quotidien. Barbe blanche et chapeau noir - dont ils portent chacun la boite en carton sur les genoux - ils sont fixés par un garçonnet arabe, assez perplexe.
Une fois le boulevard Herzl dépassé, le bus poursuit vers la station centrale et s'y remplit. Un groupe de soldats obstrue un moment le passage avec des caisses noires marquées du sigle du commandement central. Ils portent encore le béret vert pâle des nouveaux conscrits, visiblement épuisés, et déséquilibrés par le poids de leur arme ils se cramponnent aux poignées, entre deux poussettes, à chaque tournant.
A mes cotés s'est assise une fille, entièrement voilée. Elle parle au téléphone dans un arabe animé, mi-guttural mi-chantant. D'autres étudiants nous entourent, plongés pour la plupart dans le quotidien gratuit des transports hiérosolymitains. Il commence à faire chaud à Jérusalem, nous sommes en sandales, jeans court, tee-shirts imprimés, mais avec bien sur un pull pour survivre à la climatisation intensive de tous les lieux publics.
La couverture du journal d'aujourd'hui est une statistique: sur 15,000 enfants en CP à Jérusalem cette année seuls 2000 sont scolarisés dans le système laïque. Les autres sont élèves du système public religieux, des écoles publiques arabes, et des établissement hors-contrat des différentes mouvances du secteur Haredi. La jeune population fuit vers Tel Aviv, découragée par la hausse des prix du logements, le manque d'infrastructures et la pression religieuse.
Arrivés aux abords du shouk, montent des familles chargées de sacs de légumes frais. La rue couverte bouillonne de vie et de couleurs, le chauffeur stoppe devant la boulangerie après le feu et bloque un instant tout le trafic de la rue Jaffa pour acheter des pains ronds au sésames qu'un gamin court lui apporter. Au premier virage, une pastèque s'échappe, roule et dévale tout le bus avant de repasser de mains en mains vers l'arrière.
Nous tournons, dépassons l'hôpital Bikour H'olim, les bureaux de la nonciature, le lycée français pour arriver au carrefour de Mea Shearim. Une foule noire et blanche déferle sur les passages piétons tandis que les portes du bus s'ouvrent. La fille au cheveux bleus sort et traverse elle aussi la route, bientôt entièrement entourée, submergée par des chapeaux noirs... Et nous poursuivons notre chemin.