Eric Pénicaud a très tôt vécu ce paradoxe : devenir un classique avant d’avoir touché le grand public. Un classique vivant de la guitare classique. Situation qui dure encore – et qu’a renforcée son refus de se prostituer à quelque exigence commerciale ou médiatique. Son dernier disque est l’occasion de lui rendre justice.
L’œuvre d’Eric Pénicaud est une œuvre de maturité – même si ses fondements sont posés très tôt. Une maturité âpre et douce à la fois, et il faut sans doute avoir vécu pour en saisir et la singulière étrangeté et l’essentielle simplicité. La musique d’Eric Pénicaud est une révélation – c’est-à-dire un mystère. Voie de dépouillement, d’ascèse, aux profondes résonances spirituelles, du Japon bouddhique à l’Occident apophatique, via negativa, du nuage d’inconnaissance à la réminiscence christique. « Derviches tourneurs », « Tsunami », « Jubilatio pour violon-guitare », « Parabole créole »… D’Hokusai à Maître Eckhart, des îles perdues aux mers familières, ce voyage intérieur nous rend aux rivages de la jeunesse enfuie, aux secrets du jardin enfoui – jusqu'à ce point ou naît la prière. L’histoire d’une âme, en quelque sorte, d’une conversion, d’un grand retour.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : nul exotisme, nul ésotérisme dans cette musique à la fois exigeante et accessible – parce que directe, transparente. Interprétées par les plus grands guitaristes (dont Pénicaud lui-même), ses compositions dessinent dans une tension vers le silence les contours d’une présence. Il se dégage une grande pureté de cette œuvre-quête, de cette œuvre-vie, ou se marient dans une profonde fécondité la musique et la mystique. Souhaitons à chacun la grâce de l’écouter – et de l’entendre.
Falk van Gaver