Trois poésies en poche
F.
Venaille – La descente de l’Escaut,
suivi de Tragique – Poésie/Gallimard
M. Desbordes-Valmore – L’aurore en fuite
– Poésie/Points
V. Rouzeau – Pas revoir, suivi de Neige rien – La petite vermillon
Le Venaille chez Poésie/Gallimard est une joie. Relire La descente de l’Escaut, c’est retrouver un montage d’écriture à la
fois hallucinant et envoûtant dans son travail de l’angoisse. Elle est là,
toujours présente sous diverses formes : mort, culpabilité… Mais Venaille
semble au plus juste lorsqu’elle est latente, lorsqu’elle « naît de
rien », comme l’écrivait Kierkegaard. « On dirait qu’une ampoule
immense et blanche/au ciel/lentement / se balance.//O ! Toutes ces îles
vides qui dérivent./O ! Ces bras du fleuve transformés en étangs/et notre
solitude visible sur la carte.//Comment ne pas avoir peur ? » (p.117)
Livre de haute solitude que celui-ci, on le savait. Mais le retrouver,
retrouver ces appuis de langue, ce chant brisé et lié à la fois, cette façon
magistrale de poser une condition personnelle et humaine fêlée à cœur, c’est
vraiment très fort.
« On marche dans la fêlure intime du monde/Ces soubresauts nés de la
douleur primitive//Quelle sera la voix qui le dira ? Quel sera/ce corps
qui saura mener jusqu’à son terme la// Valse triste ? Une voix s’élève à
l’intérieur/De nous-mêmes – voix chère – exprimant ce qui s’//Apparente à
l’expression de la plainte première/Je suis cet homme-là qui, tant et tant,
crut aux ver-//Tiges et qui, désormais, dans la déchirure du lan-/gage se
tient, regard clair, miné toutefois, blessé//Dans la fêlure du monde où les
plaies suintent » (p.139)
Rien à dire de plus : un pathétique silence, après les mots.
Je ne suis pas le mieux placé pour parler de la singularité féminine de cette
écriture, mais Christine Planté souligne avec raison une « position du
sujet lyrique originale dans le romantisme français », et un peu plus
loin, que cette position « n’est pas séparable de sa situation de
femme. » (p.15) Il y a bien sûr le thème de la maternité, mais pas
seulement, toute la thématique amoureuse du romantisme est prise ici d’un point
de vue féminin, ce qui n’est pas une mince affaire. A quoi il convient
d’ajouter que Desbordes-Valmore est tout à fait consciente de ce qu’elle
transgresse : « Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire, /
j’écris pourtant »…(p.159)
Reste la question de l’engagement, et il faut lire ces poèmes sur la répression
des canuts de Lyon. Marceline vaut Victor. Et là encore, c’est le point de vue
des femmes, veuves ou mères, qui est choisi. « Nous n’avons plus d’argent
pour enterrer nos morts. /Le prêtre est là, marquant le prix des
funérailles ; /Et les corps étendus, troués par les mitrailles, /Attendent
un linceul, une croix, un remords. » (p.111)
Au bout de la lecture de cette anthologie, on ne peut qu’être en accord avec la
préfacière : « Il est temps de lire (Desbordes-Valmore) en
poète » (p.20), au-delà d’une caricature larmoyante et bon-dieusarde.
D’une certaine façon, Neige rien
souffre un peu de la juxtaposition à Pas
revoir ; de même, chez Venaille, pour Tragique succédant à La
descente de l’Escaut. Mais dans les deux cas, on prend conscience de la
nécessité pour le poète d’une bifurcation de l’écriture. Il faut bouger, ne pas
en rester là, il faut que l’écriture emporte plus loin. Et c’est ce qui a lieu.
par Antoine Emaz