Cette nuit là on m’avait réveillée pour voir les sangliers qui avaient été massacrés un peu plus tôt dans la journée. J’avais 4 ans. Somnolente mais enthousiaste, je suivais ma mère dans la vieille maison, inhabitée depuis l’époque des grands parents, et qui servait maintenant de chenil. Dans la cour devant, des gens s’affairaient. Les sangliers, trophée suprême pour le chasseur qui ce jour là avait été en veine.
J’entrais donc. Il faisait sombre, beaucoup de silhouettes allant venant, un brouhaha…”tiens tu es réveillée ? tu es venue voir ?” ils souriaient, étaient joyeux.
Plus j’avançais plus une odeur désagréable me prenait les narines. La traversée de la pièce dura un long moment me semblait-il. Ma mère parlait a celui ci, a celui là, tourbillonnait au milieu de ces gens dont pour certains je connaissais le nom, les autres ne faisant pas partie de la meute sans doute.
Pendus par les pieds, la tète en bas, quatre géants de sang s’égouttaient sur du papier journal. Ils avaient été ouverts. Leurs tripes gisaient au sol, personne n’avait pris le soin de s’en débarrasser. Je ne pouvais plus bouger. Je ne pouvais pas parler. Ma mère me commentait la scène d’une voix haute entre deux brins de causette avec les autres fanatiques. Personne ne se doutait de moi, c’était un jour de fête, une victoire sur la bête, une célébration.
Je ne pouvais pas pleurer. Mes yeux étaient secs à force de fixer ces corps béants et rouges dont la langue pendait du groin. Horreur.
Un des plus sage recommanda que l’on me ramène dans ma chambre. J’en avais semblait-il vu assez pour garder à jamais le souvenir de ce jour de gloriole. Je retournais donc, doucement, en tenant la main de ma mère. Cependant il me fut impossible de me glisser dans mon lit, pas plus d’éteindre la lumière. Ma mère tenta alors un peu d’autorité mais sans succès. Je lui expliquais avec mes mots, que sans aucun doute tout au fond de mon lit entre les draps roses, se trouvaient quelques tripes de ces beaux animaux ; et que de penser y glisser mes petons me glaçait d’effroi. Ma mère ouvrit le lit, cartésienne. Il n’y a rien, je pouvais le voir aussi bien qu’elle. Oui mais sitôt la couverture remise, la vision des boyaux m’empêcha à nouveau. Impatiente et la colère montant, elle me proposa alors de couvrir mes pieds pour les protéger du carnage.
Elle alla chercher un de mes pyjamas, le coupa de moitie et me l’offrit après en avoir noué les jambes.
Il allait faire l’affaire. Pour la lumière cela prendrait encore quelques années. On m’installa une veilleuse. Mon p’tit bout de pyjama, désormais mon plie-pied, s’usa jusqu’a la corde pour me protéger avant d’être remplace par le même artifice. Et puis d’années en années, les chaussettes prirent le relais. Jamais depuis ce jour je n’ai pu occulter. Le souvenir en effet est bien imprimé. Et le pire dans cette histoire, c’est qu’il a aussi fallu les manger.
Martha