Pour se défendre, Eric Woerth a embauché Anne Meaux, qui dirige l'agence Image 7. Pour le défendre, Sarkozy a fait démissionner Christian Blanc et Alain Joyandet ce weekend du gouvernement. Pour défendre sa réforme des retraites, il a dépensé plus de 7 millions d'euros en publicité dans les médias. La propagande gouvernementale est industrialisée. Mais qui la paye ?
Joyandet et Blanc jouent aux fusibles
Dimanche en fin d'après midi, le gouvernement a perdu deux secrétaires d'Etat. Christian Blanc, sévèrement taclé par François Fillon puis Nicolas Sarkozy (rappelez-vous le «Ce sont mes cigares. Moi, je ne suis pas le genre à faire ça !» de jeudi dernier), a jeté l'éponge, et l'Elysée a pris acte. De son côté, Alain Joyandet a joué l'homme blessé, en publiant sur son blog, un court billet justifiant sa démission. « L'homme d'honneur que je suis ne peut accepter d'être victime d'un amalgame. Après mûre réflexion, j'ai décidé de quitter le gouvernement ». Après les 116 000 euros de jet privé aux frais de l'Etat, puis le permis de construire illégal pour une villa de 231 m2 à Grimaud, près de Saint-Tropez, révélé par le Canard Enchaîné, le maire de Vesoul n'avait pas envie d'être assimilé à ses collègues Estrosi (jet privé), Yade (hôtel luxueux), Blanc (cigares et ennuis fiscaux). On le comprend. Lui aussi devait régler ses conflits d'intérêts. Secrétaire d'Etat à la Coopération, il était toujours actionnaire principal d'une société de distribution de bateaux en bois précieux... africains.
«Ainsi meurent les créatures du système Bongo», commente durement Bruno Ben Moubamba, ancien candidat à l'élection présidentielle du Gabon. Joyandet remplaçait depuis deux ans Jean-Marie Bockel à la Coopération, dans le but affiché et jamais démenti de consolider la Françafrique. Toujours affable, jamais critique, Joyandet a tout couvert, tout accepté de ces chefs d'Etat africains au régime autoritaire. Il ne fallait pas compromettre l'influence française. Cette fois-ci, il saute comme un fusible, avec son collègue Blanc.
Le communiqué officiel de la Présidence de la République fut des plus sobres: «Les secrétaires d'Etat Alain Joyandet et Christian Blanc ont présenté leur démission du gouvernement. Le Président de la République et le Premier ministre ont accepté ces démissions. Les fonctions d'Alain Joyandet seront exercées par Bernard Kouchner et celles de Christian Blanc par Michel Mercier.» Pas un mot de plus. Ces démissions serviront-elles à éteindre les polémiques sur les abus de privilèges et autres conflits d'intérêt qui frappent la Sarkofrance ? Dès dimanche soir, on pouvait entendre l'un des porte-paroles de l'UMP expliquer que Joyandet avait été «meurtri de constater qu'il y avait contre lui, et contre d'autres d'ailleurs, un certain acharnement», faisant allusion à Eric Woerth. Sacrifier Joyandet plutôt que Woerth, là était l'urgence.
Woerthgate : «contre les insinuations»
Il y a quelque chose d'incroyable dans cette affaire Woerth qui agite depuis près de trois semaines la classe politique. La presse publie des faits, mais la droite crie à la chasse à l'homme. Un exemple de ce dialogue de sourds : quand Mediapart révèle que (1) Liliane Bettencourt a touché 30 millions d'euros de remboursements au titre du bouclier fiscal et (2) Eric Woerth alors ministre du budget avait forcément du donner son aval sur une telle somme, le ministre rétorque, par le biais d'un communiqué: «Contrairement à ce qui est dit, Eric Woerth, alors ministre du Budget, n'a donc pas 'donné son aval' pour le versement du bouclier fiscal de Madame Bettencourt».
Eric Woerth est habile dans ses réponses. Donner son aval signifierait qu'il cautionne ou approuve. Il évite soigneusement de dire qu'il n'était pas au courant d'un tel remboursement. Il faut dire qu'il est bien aidé. Comme le notait notre confrère Rimbus voici 10 jours, le ministre s'est offert les services d'Anne Meaux et son agence Image 7 pour gérer sa communication de crise. On ne sait pas si la dépense est à la charge du contribuable, d'Eric Woerth lui-même, ou de l'UMP dont il est le trésorier. Depuis des semaines, l'agence conseille donc le ministre à jouer au chat et à la souris. Tout est dans le vocabulaire. L'accuse-t-on de conflit d'intérêts ? Il réplique qu'il a toujours agi légalement.
Au-delà de ces jeux de mots, il est pourtant simple et nécessaire de rappeler les faits.
Eric Woerth était-il en situation de conflit d'intérêt ? Un conflit d'intérêts est une situation les intérêts personnels sont en concurrence avec la mission (professionnelle ou élective par exemple) qui lui est confiée. Eric Woerth fut-il dans cette situation ? Oui. Qu'il ait su gérer cette situation est une autre question. Mais Eric Woerth a vécu une telle situation. Qui en doute ? Trésorier de l'UMP, il a sollicité ou accepté des financements de contribuables, telle Liliane Bettencourt ou en Suisse qui avaient par ailleurs maille à partir avec le fisc français. Or Eric Woerth était ministre du budget entre mai 2007 et juin 2009. Ces contribuables lui étaient redevables de jure. Combien d'entreprises interdisent ou régulent les cadeaux de fournisseurs à leurs acheteurs ? Les autres preuves de conflit d'intérêt sont nombreuses: son épouse travaillait pour Liliane Bettencourt, et très souvent en Suisse selon des médias locaux, il a décoré Patrice de Maistre de la Légion d'honneur, il a dîné avec la plus grosse fortune de France par ailleurs soupçonné d'évasion fiscale.
Eric Woerth était-il au courant de ce conflit d'intérêt ? Assurément oui. Le ministre a menti à plusieurs reprises, comme l'a rappelé Marianne dans son édition de samedi dernier.
Retraites : «Ayez confiance»
Autre sujet, autre propagande. 7,3 millions d'euros, c'est le coût de la campagne publicitaire du gouvernement depuis avril pour défendre sa réforme des retraites : la première vague d'avril, pluri-média, insistait sur la nécéssité de la réforme. Cinq millions d'euros en achat d'espace en radio, presse et internet (site compris). Depuis le 22 juin, une seconde vague inonde les ondes ... et nos journaux. Outre les deux spots publicitaires TV et radio qui ont respectivement coûté 215 000 euros et 36 000 euros de fabrication, l'achat d'espace (d'abord en radio, puis, depuis depuis 27 juin à la télévision, et, enfin, sous forme d'encart de 4 pages dans certains journaux de la presse quotidienne), se chiffre à 7 millions d'euros: 1.060.000 euros en télévision (pour la métropole et les DOM du 27 juin au 11 juillet inclus), et 730.663 euros en espace radiophoniques (du 22 juin au 4 juillet).
A la télévision , des spots nous montrent une poignée de Français modèles expliquer un à un quand ils partiront à la retraite avec les nouvelles dispositions. Le slogan est limpide de partialité: «pour sauver nos retraites, le gouvernement a choisi d'augmenter l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans». Dans la presse, le gouvernement s'est carrément acheté de grands encarts, comme celui de 4 pages insérés dans le Monde daté du 3 juillet. Habituellement, ce sont des dictatures africaines qui se payent autant de pages publi-rédactionnelles pour vanter les mérites de leur développement. Cette fois-ci, les services de Thierry Saussez, qui pilote la communication gouvernementale, ont mis le paquet.
Certains journaux l'ont refusé: l'Humanité, par exemple, a expliqué qu'accepter une telle propagande gouvernementale n'était simple pas acceptable. En période de rigueur, le coût de cette propagande gouvernementale trouble jusque dans les rangs de l'UMP. La députée Chantel Brunel s'est ainsi interrogée sur le fait que cette dépense excède le budget annuel de communication du ministère du Travail...
Crédit illustration Patrick Mignard
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