Lancé à l’improviste par une bande de jeunes passionnés en juin 2003, le magazine Urbania célèbre l’urbanité sous toutes ses facettes. Graphisme alléchant, page couverture-choc et plumes bien affûtées; tout est mis en œuvre afin que chaque numéro devienne une pièce d’anthologie consacrée à un seul et unique thème. Notre journaliste Guillaume Brodeur a recueilli les propos du coéditeur et directeur artistique, Philippe Lamarre, qui nous raconte ici cette aventure typiquement montréalaise.
Dossier Magazine du Québec de Reflet de Société.
Le passe-temps s’est rapidement transformé en une véritable entreprise. Après une quinzaine de numéros, Urbania est rendu à 84 pages couleur, réalisées par une soixantaine de collaborateurs aussi passionnés les uns que les autres. Mon objectif à court terme est d’y consacrer toutes mes énergies et de rémunérer un tant soit peu les généreux collaborateurs. La sortie de chaque numéro ressemble à une grossesse: on manque de mourir à chaque fois, mais ça vaut la peine.
Variations sur un même thème
La particularité principale du magazine est de traiter d’un seul thème par saison, à la façon du documentaire. Les sujets vont de très sérieux (médias et moyens de transport) à plutôt légers (les vices et la mode rétro), en passant par d’autres plus surprenants (le son et l’odeur). On se fie à notre instinct pour choisir des thèmes qui représentent l’esprit du moment, en lien avec ce qui se passe dans la société.
Urbania a le souci de présenter tant des spécialistes que des monsieurs et madames Tout-le-monde; tant Sœur Angèle qu’une éleveuse de pigeons de Marieville (numéro sur la bouffe). On nous critique parfois de ne pas être assez engagés… Nous le sommes à notre façon, au niveau humain, en essayant simplement de rendre la vie plus agréable. En militant pour que tous les taxis de Montréal soient peints en roses, par exemple.
Le numéro de ce printemps a pour thème l’environnement et l’écologie, évidemment avec la twist typique d’Urbania, sans présenter les écolos avec complaisance ni tomber dans les clichés. On ne se gêne pas pour écorcher l’omniprésent représentant de Greenpeace, Steven Guilbeault. C’est un beau défi que de trouver des angles neufs et irrévérencieux à un sujet aussi exploité par les médias. On aborde toujours nos sujets avec des images fortes et des textes assez courts, mais punchés.
Des couvertures qui font jaser
Présenter du visuel percutant se veut aussi crucial que de proposer du contenu textuel solide. On ne commande pas un article pour ensuite l’enrober visuellement, les deux vont de pair. Photos ou illustrations, il s’agit toujours de matériel original. On apprécie aussi quand les annonceurs se forcent à créer des publicités — environ 25 % des pages — en fonction des thèmes, qu’elles s’inscrivent dans une démarche artistique et ne soient plus juste de maudites pubs fatigantes qui ruinent l’harmonie du magazine.
Les pages couvertures audacieuses s’avèrent sans contredit les meilleurs coups d’Urbania. On a eu droit à Passe-Montagne et Passe-Carreau qui s’embrassaient, mais surtout à cet incendiaire pénis «bandé dur» sous des bobettes roses pour illustrer le numéro sur les gars. Cette image de phallus en a scandalisé plusieurs, des masculinistes, mais surtout des femmes, alors que le corps féminin est utilisé à outrance partout ailleurs.
Ça fait 3 années consécutives qu’Urbania remporte la palme de la conception graphique d’un numéro aux Grands Prix des Magazines du Québec. En l’absence de réels moyens de promotion, on se doit d’attirer l’attention avec les atouts de la publication. Présenter en page couverture un buste de Jean Charest en fromage, avec des frites ondulées en guise de cheveux, des boules de crème glacée à la place des yeux, avec complet en smoked meat, col en baloney, cravate en bacon et bras en hamburger… Ce n’est pas très esthétique, mais ça fait jaser!
Un ton qui détonne
La vraie distinction d’Urbania demeure toutefois son ton dénué de pudeur. On recherche l’avis de ce barbu aux airs d’Hells Angels qui se promène en tricycle dans les rues. On va photographier les guerriers grandeur nature sur le mont Royal… En somme, des personnages pittoresques qui donnent de la couleur à la vie de tous les jours et une âme à la ville.
Oui, c’est vrai qu’on rit du monde parfois, mais jamais de façon condescendante. Ainsi, on croyait par exemple se faire du fun en interviewant des flyés pour le numéro sur la folie, alors qu’on s’est aperçu que la maladie mentale était un sujet des plus sérieux. C’est possible d’être baveux avec compassion, sans blesser les gens… De rire avec eux en les présentant de façon avantageuse.
Nous ne sommes pas là pour amasser de l’argent, nous faisons tout avec notre cœur. Pas question de donner des ordres aux petits journalistes d’en bas, du haut de notre tour d’ivoire. C’est toujours la meilleure idée qui l’emporte, peu importe d’où elle vient. Un esprit de liberté qui donne sa personnalité au magazine.
L’objectivité? Oui, on croit aux principes de base du journalisme, mais Urbania ne fait pas dans la nouvelle. Tout le contraire même. Nos journalistes prennent position, ils écrivent au Je, utilisent des techniques douteuses de recherche (comme écumer les bars pour retrouver Éric Lapointe!) et sont surtout encouragés à écrire dans un style littéraire.
Profil jeune
Urbania présente le regard original que porte la génération montante sur son environnement. Il est grand temps que les médias québécois fassent de la place aux jeunes. L’objectif d’Urbania est d’incarner le reflet de cette jeunesse. On le qualifie souvent de magazine branché, mais on s’en fout d’être les premiers ou non à parler d’un sujet.
Bien qu’un peu «montréalo-centriste» dans le choix des thèmes et intervenants, Urbania compte de nombreux abonnés à Québec et même deux à Val-d’Or! C’est difficile de se débarrasser de l’influence de la métropole lorsque nous avons les pieds solidement ancrés dans le boulevard Saint-Laurent. On pourrait nous croire nombrilistes, mais la portée du message se veut universelle.
Urbania tire actuellement à 10 000 exemplaires et possède un bassin de 1000 abonnées. Le profil type du lecteur, ou plutôt de la lectrice, car elles sont majoritaires, se trouve dans la fin de la vingtaine. Dire qu’on croyait faire un magazine de gars! De nombreuses têtes grises s’intéressent aussi à la revue. On répond probablement à une demande de citoyens qui désirent s’abreuver à de nouvelles sources d’information.
Concept multidisciplinaire
Le magazine a déjà fait des petits avec des capsules vidéo insérées dans l’émission Mange ta ville sur ARTV, et nous voilà rendus à la réalisation d’une série télé pour TV5. Nous allons explorer des lieux montréalais avec le regard et le ton Urbania. La diffusion des 13 émissions débutera dès cet automne. Notre site Internet propose par ailleurs un contenu diversifié et déjanté.
L’équipe d’Urbania organise à la sortie de chaque nouvelle édition une fête de lancement pour favoriser la proximité avec le public, mais surtout pour remercier ses collaborateurs. Qui aurait cru que des créateurs talentueux comme Jimmy Beaulieu, Michel Rebagliati, Josée Blanchette et Jean Dion allaient collaborer à Urbania? Follow your dreams!
Abonnements: www.urbania.ca (514) 989-9500
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