Histoire d'une vie - Aharon Appelfeld

Par Vanina Delobelle
Parmi les témoignages de rescapés de la Shoah, le récit que livre Aharon Appelfeld est sûrement l'un des plus poignants. Né en 1932 au sein d'une famille juive assimilée de Czernowitz, petite ville d'Ukraine, Appelfeld n'a en effet que peu de souvenirs précis de cette période. Il est rapidement privé de sa mère, puis de son père. En fuite, il se réfugie pendant quatre ans dans les bois et les forêts, fuyants les soldats allemands et la population ukrainienne, généralement hostile. Il passe ses étés dans la forêt, en compagnie des animaux, et les hivers auprès des rares fermiers ukrainiens qui acceptent de l'héberger. Solitaire, livré à lui-même durant ces terribles années, il survivra, et rejoindra Israël dès sa création.

Ce témoignage ne constitue pourtant que la première partie de cet ouvrage. Car par la suite, Appelfeld va nous expliquer comment cet adolescent, qui enfant parlait quatre langues (allemand, russe, yiddish et ruthène), qui a perdu certaines de ces langues lors de son apprentissage de l'hébreu, et qui se mue en un adulte à l'expression lourde et difficile, va progressivement acquérir ses lettres de noblesse durant ses années d'étude à l'université de Jérusalem, au contact de professeurs de renom tels Shai Agnon. C'est cette genèse extraordinaire d'un auteur israélien contemporain hors du commun, que raconte Appelfeld, l'ami de Philip Roth. Aharon Appelfeld est un écrivain de la Shoah, dont la particularité est de raconter des récits imaginaires autour de la Shoah.

De son enfance, Appelfeld ne conserve en effet aucun souvenir précis tel que noms, dates ou lieux. Il ne saurait reconnaître les endroits par lesquels il est passé, il n'a pas connu non plus les camps d'extermination. Mais Appelfeld sait très bien exprimer ce que ressent l'être qui a survécu à cette période. Ses peurs, ses angoisses, ses sens, ont été éduqués pendant la guerre. Une odeur, le chant d'un oiseau, l'humidité d'une chaussure, peuvent à tout moment le faire basculer soixante ans en arrière. C'est cette angoisse permanente, cette atmosphère particulière qu'il retranscrira dans la plupart de ses œuvres.

Ecrivain atypique, il sera abondamment critiqué par nombre d'auteurs israéliens. Pour certains, son style est marqué par une lourdeur indicible. Les autres lui reprochent son approche si particulière de la Shoah par la fiction, et non par le témoignage. La reconnaissance viendra sur le long terme, lorsque la génération des enfants de la Shoah se retrouvera dans ses récits. Avec Histoire d'une vie, Aharon Appelfeld nous livre finalement son premier roman réellement autobiographique.

Hervé Kabla