« J'apprends sa mort ce matin, samedi 3 juillet, mais
pour moi Arlette est toujours vivante. Comment peut-il en être autrement ? Fin
mai, j'allais lui rendre visite en voisin, et je la sentais partir confiante à
l'hôpital pour une opération certes délicate, mais courante. Je lui disais
craindre un peu les suites, la convalescence. Elle souriait, sa vitalité ne
voulait pas m'entendre. Trois jours après cette rencontre, elle venait encore à
Romainville écouter une lecture, évoquant publiquement l'avenir. Le 4 juin,
elle rentrait à l'hôpital pour être opérée le lendemain. Je lui avais promis
d'aller la voir le lundi suivant. J'y suis allé. L'accueil m'apprend qu'elle
est en réanimation. Je monte, j'attends, puis un infirmier m'introduit dans la
chambre. Arlette sommeille, entourée d'appareils. Je lui parle, ses yeux
clignent, se referment, je lui touche le bras, parle encore, elle reconnaît ma
voix. Le dernier mot d'elle entendu a été comme pour ma tante mon prénom. Elle
respire difficilement, paraît s'endormir. Le soir, je rends compte de ma visite
à des amis communs. J'en apprends davantage sur son état. Toujours confiante,
audacieusement naïve, elle m'avait fait les louanges de cet hôpital mutualiste.
Et puis… On m'écrit qu'elle ne souhaite pas que ses amis viennent la voir tant
qu'elle ne va pas mieux. Trois semaines durant, je suis informé chaque soir par
courriel de son état, qui s'aggrave, jusqu'à ces deux derniers jours où il
paraît s'améliorer, jusqu'à ce matin où j'apprends ce que je redoutais et que
je ne peux admettre.
J'ai rencontré Arlette lors du premier Marché de la poésie, dans la cour de la
Bibliothèque nationale, rue de Richelieu. Vingt-huit ans plus tard, son
insatiable curiosité de tout ce qui bouge, son imprudente jeunesse d'esprit,
son manque de préjugés, son enthousiasme pour l'impossible n'ont pas pris une
ride. Je l'ai vue à la commission poésie du CNL d'une générosité sans retenue,
attentive aux démarches les plus hétéroclites : pourvu que ça marche,
rêvait-elle. Le Marché est son Grabinoulor, une œuvre tout aussi énorme et
pleine d'humour, dans laquelle son intelligence a feint d'institutionnaliser
l'inutile, sans plan ni ponctuation, au fil des rencontres d'idées, dans le
bonheur de l'aléatoire. Ces deux dernières années, elle a créé la soirée des
cabanes, la veille de l'inauguration, et n'était pas contre l'idée folle d'un
bal des poètes. Arlette Albert-Birot est le nom d'un éternel combat. Parmi de
nombreux autres, pour des raisons et des sentiments à moi seul, j'ai besoin
d'elle, de son écoute, sa chaleur, son indéfectible amitié. J'en veux à la
médecine de me l'avoir volée. »
par Jacques Demarcq