Nous étions donc tous réunis, samedi dernier, amis lecteurs, pour ensemble visiter la tombe du patriarche d'une importante famille de hauts fonctionnaires memphites de cette VIème dynastie qui clôture pratiquement l'Ancien Empire égyptien.
La semaine précédente, j'avais, dans une première intervention, largement souligné la destinée particulière des membres de cette lignée : puis-je me permettre de vous conseiller d'éventuellement vous replonger dans vos notes de la dernière quinzaine si, d'aventure, l'un ou l'autre détail de notre visite de ce matin venait à vous échapper ?
Il est effectivement dans mes intentions aujourd'hui de vous convier à découvrir, toujours dans la même nécropole d'Abousir, immédiatement au sud de celui de son père, le mastaba d'Inty, à tout le moins sa partie supérieure.
Une toute petite précision s'impose d'emblée : alors que je m'étais donné comme ligne de conduite d'envisager avec vous les travaux des équipes de l'égyptologue tchèque Miroslav Barta durant les ultimes années du précédent siècle, je pense opportun de quelque peu transgresser cette position dans la mesure où les mastabas de Qar et de son fils Inty, dans le même complexe funéraire, se doivent à mon sens d'être traités ensemble ; même si, de campagne en campagne, ce fut en 2000-2001 que les archéologues exhumèrent la superstructure du mastaba - ce que nous verrons ce matin -, et en 2002 que le puits funéraire dans lequel nous descendrons samedi prochain fut mis au jour, soit à ce présent XXIème siècle qui constituera, dès l'automne prochain, un nouveau grand "chapitre" de nos visites de la nécropole.
Aujourd'hui, donc, et sans nous préoccuper de chronologie, c'est chez Inty que nous nous rendons.
Inty - ou Inti, selon les graphies , - était, souvenez-vous, le petit dernier, le fils "préféré" que Qar eut d'une seconde épouse. Comme son père, comme ses frères, ce puîné embrassa la fonction de Juge de Nekhen.
Miroslav Barta pense qu'il est très probable que, si pas simultanément, le tombeau d'Inty fut construit fort peu de temps après celui de son père. Et de baser son opinion sur un aménagement particulier remarqué lors des fouilles : il a en effet retrouvé l'emplacement d'une petite ouverture dans le mur ouest partiellement détruit de la chapelle vizirale de Qar qui donnait sur une pièce située juste en face de l'entrée de la tombe de son fils et donc, qui reliait ensemble les deux monuments funéraires. C'est la raison pour laquelle, les plus attentifs d'entre vous auront très certainement noté que dans une précédente intervention, j'ai employé les termes de "semi-indépendants" pour définir les deux mastabas.
C'est à l'ouest, en fonction de la topographie du cimetière sud d'Abousir, que se situe la façade du tombeau, d'une largeur de 2, 72 m, magnifiquement préservée qu'elle fut, comme vous pouvez le constater, grâce au sable du désert qui recouvrit le lieu des millénaires durant.
Composé de blocs de calcaire décorés de reliefs dans le creux ayant encore partiellement conservé leurs teintes d'origine, chacun des deux côtés de l'entrée propose, sur 1, 03 m de large, en séquences relativement symétriques, le juge Inty, debout, en taille héroïque, tenant, bien visible sur la paroi gauche, un long bâton. Torse nu, simplement vêtu d'un pagne à devanteau, il est coiffé d'une perruque longue, à fines mèches parallèles, et arbore une barbe très courte. Un large collier ousekh composé de plusieurs rangs de perles lui orne le cou. A ses pieds, Ankhemtjenenet et Senedjemib II, ses deux fils, représentent la troisième génération de la famille de Qar.
Disposés en colonnes verticales, les hiéroglyphes, eux aussi gravés en creux, que vous apercevez devant et au-dessus des personnages donnent à lire une courte autobiographie du juge Inty, mais aussi le traditionnel "Appel aux vivants" (ou "aux visiteurs", suivant les propos inscrits).
Si vous observez attentivement, vous distinguerez au-dessus de la main d'Inty, à gauche comme à droite, mais plus facilement de ce côté, trois hiéroglyphes - djed-f, en égyptien -,
signifiant "Il dit " : ces pictogrammes marquent l'introduction aux paroles, prières ou menaces, parfois promesses, que le propriétaire de la tombe adressait à ceux, prêtres, fonctionnaires de la nécropole et bien évidemment ses propres parents, qui étaient amenés à pénétrer dans la chapelle où se devait de lui être rendu un culte ; culte qui, j'aime à le rappeler, constituait tout à la fois un devoir de mémoire de la part des proches et, de manière concomitante, l'espérance en la survie dans l'Au-delà pour le défunt lui-même.
Pour différencier les textes en question, les égyptologues nomment "Appel aux vivants" ceux qui se composent seulement de prières, "Formule prohibitive" quand il n'y a que des menaces et "Adresse aux visiteurs" ceux qui réunissent les deux.
Le savant genevoix Henri Wild, (1902-1983), se référant à
plusieurs formulations semblables relevées dans différents mastabas de cette époque, dont celui de Ti, à Saqqarah, proposa jadis une traduction type mettant l'accent sur le fait qu'est menacée
d'être jugée devant le grand dieu toute personne qui entrerait dans le tombeau en n'étant point pure, c'est-à-dire, pour les prêtres ritualistes par exemple, en ayant consommé des produits
prohibés : souvenez-vous des poissons que j'ai déjà ici évoqués. Le texte, ou plutôt le défunt, ajoute la précision qu'il a
été initié à divers rites, qu'il connaît les livres sacrés et que, de la sorte, il est à même de protéger ceux qui, en état de pureté, lui apporteront les offrandes
funéraires.
J'annonce tout de suite que je ne dispose pas du texte exact que les épigraphistes tchèques ont relevé chez Inty ; toutefois si un exemple de cette formule vous intéresse, amis lecteurs, je ne puis que vous conseiller, une fois encore, de vous rendre sur l'excellent site d'OsirisNet où, dans l'étude qui y est proposée du mastaba de Ti, est reprise in extenso, tout au bas de la page 1, la traduction d'Henri Wild.
Avant de pénétrer ensemble plus avant, je voudrais vous faire remarquer la présence, ici, de petits obélisques - ou ce qu'il en reste : habituellement érigés par paires - il y en eut donc très probablement quatre devant le mur de façade de la tombe d'Inty -, ces monuments que l'on retrouvera bien plus tard, au Nouvel Empire, pesant des tonnes cette fois, essentiellement de part et d'autre des pylônes d'entrée des temples, symbolisaient en fait les rayons du dieu solaire Rê auquel, au point de départ, on rendait hommage dans la ville d'Héliopolis.
A l'intérieur du passage d'accès d'environ 1, 30 m de long, les égyptologues découvrirent les processions d'hommes et de femmes, ces dernières, sur le mur ouest, personnifiant les différents domaines agricoles ayant appartenu au défunt et dont les noms sont en rapport avec le roi Téti, tandis que les premiers, sur le côté est, figuraient les porteurs d'offrandes : scènes récurrentes dont peut-être vous vous souviendrez avoir vu un exemplaire, si pas lors d'un séjour en Egypte, à tout le moins, pour les plus fidèles d'entre vous, quand ensemble nous avons visité la chapelle d'Akhethetep, en salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Empruntons maintenant, voulez-vous, ce petit couloir d'entrée d'un peu moins de 70 centimètres de largeur - merci de prendre garde à ne pas abîmer les parois décorées, notamment avec vos sacs à dos - pour déboucher dans une petite cour de 5, 46 sur 3, 33 mètres, pavée de blocs de calcaire : là, dans le mur ouest, a été aménagée la chapelle cultuelle large d'1, 70 m et haute de 2, 15 m de laquelle, il y a quelques années, fut exhumée la stèle fausse-porte : les deux clichés ci-dessous, émanant des archives de l'Institut tchèque d'égyptologie, font état de deux étapes de son excavation.
Taillée dans un bloc monolithique en calcaire, surmontée d'une corniche à gorge, elle est couverte de hiéroglyphes gravés en creux détaillant les traditionnelles formules d'offrandes, mais surtout, le nom et les titres officiels d'Inty : informations non négligeables permettant aux chercheurs de partiellement reconstituer sa carrière prestigieuse au sein de l'Administration centrale memphite.
Dans la partie supérieure de cette fausse-porte : la "fenêtre" à travers laquelle l'on peut "voir" une relativement rare double représentation du défunt assis à la table de son repas funéraire.
Au fur et à mesure du dégagement des parois de la chapelle cultuelle d'Inty, il apparut très vite aux membres de l'équipe de Miroslav Barta que les scènes qui en ornaient les différents murs étaient d'une beauté et d'une finesse d'exécution bien supérieures à celles qui avaient été retrouvées quelques années auparavant dans celle de Qar, son père.
Parmi elles, notamment, remarquablement bien préservé, un bas-relief d'Inty à nouveau devant sa table d'offrandes.
L'égyptologue belge Nadine Cherpion a magistralement démontré, dans une étude centrée sur la datation des mastabas et des hypogées de l'Ancien Empire, qu'existaient quatre catégories de critères utiles permettant de chronologiquement classer ces tombes avec une certaine précision : ce sont bien évidemment les vêtements portés par le défunt, mais aussi les détails de la fausse-porte, la table d'offrandes devant laquelle il se tient, sans oublier son contenu, et - c'est la raison pour laquelle je précise ici ce point -, le siège sur lequel il est assis.
En effet, en comparant des figurations semblables dans plusieurs chapelles funéraires, l'on se rend très vite compte que les sièges peuvent présenter des différences notoires dans maints détails de leur fabrication : notamment aux niveaux des dossiers, de la présence ou non d'un coussin, de la forme des pieds, etc.
Celui d'Inty est constitué d'un dossier bas que recouvre un coussin, a des pieds thériomorphes, c'est-à-dire évoquant un animal sauvage : ici, ce sont des pattes de lion, et se termine, à l'arrière, par une ombelle de papyrus.
Tous ces points, mais aussi bien d'autres dans la tombe,
permettent donc de la situer à l'époque du roi Téti.
Autre scène, sous le siège : la présence d'un nain tenant en laisse Idjem, - son nom a été incisé juste au-dessus de ses oreilles dressées -, le chien favori du défunt, un de ces "Lévriers des Pharaons" à la rare élégance auquel, précédemment, j'ai déjà fait allusion.
Certains d'entre vous peut-être ont pu admirer semblable représentation, pas loin d'ici, à Saqqarah, dans le mastaba de Mererouka, qui fut lui aussi, comme Qar, le père d'Inty, vizir de Téti, à la VIème dynastie.
Si, comme vous l'avez assurément noté, les traits du visage
ainsi que quelques détails de ce portrait du fils préféré de Qar, comme le large collier ousekh qu'il porte sur la poitrine, ou la perruque finement frisée à laquelle je faisais
référence il y a quelques instants, attestent indiscutablement du haut degré de perfection de l'artiste égyptien,
ils manifestent également l'exigence esthétique qu'Inty imposa à ceux qui s'occupèrent de sa "Maison d'éternité" : il faut en effet que vous soyez conscients qu'à cette époque déjà, les propriétaires des tombes privées mettaient un point d'honneur à contrôler et la qualité du travail architectural en général et celle de la décoration intérieure en particulier.
Aux fins de clôturer l'évocation de l'immense complexe funéraire de Qar et de ses proches, et avant, je l'avoue, les vacances que, partiellement, mon blog se propose de m'offrir, je vous invite à nous retrouver une dernière fois, amis lecteurs, samedi prochain, devant le mastaba d'Inty : ensemble nous descendrons visiter la chambre sépulcrale.
A samedi ...
(Barta : 2004, 53-6
; Id. : 2005 ; Cherpion : 1989, 25-42 ; Onderka & alii : 2008, 104 ; Wild : 1959, 101-12)