03 juillet 2010
Boat-lag dans l'hémisphère sud
Lorsque Pierre et Shabby
se font virer sans préavis de Clube Naval Charitas, j'en suis
sincèrement désolé mais en même temps, ça me procurera du repos,
enfin. Après la transat, ces trois semaines à Rio faites de
réparations, de formalités diverses, de fëtes et de rencontres
m'ont fatigué. L'avant dernier jour s'y termine en feu d'artifice.
Le Brésil vient de gagner une nouvelle fois, Olga est à Rio avec
Lila et participe à la liesse populaire. Lorsque Pierre et moi les
rejoignons, je sens comme de l'electricité dans l'air, et pas qu'un
peu. Etat de surexcitation maximal chez Olga généralement plus
posée; brésiliens par grappes autour d'elle. Je sens intuitivement
que tout cela pourrait facilement dégénérer. Je tente vainement de
lui rappeller où nous sommes et les possibles dangers que cela
implique mais ma crédibilité en matière de tempérance et de calme
semble des plus limitée auprès d'elle. Je me fais donc pourrir
copieusement et ni Lila ni Pierre n'obtiennent de meilleurs
résultats. Olga part de son côté, fachée. Lila, Pierre et moi
poursuivons la soirée sans elle avant de rentrer plus tard aux
canots. Et puis c'est au tour de Lila de disparaître
mysterieusement. Nous sommes alors au Clube Naval et Lila n'a pas pu
rentrer à Rio vu qu'elle a laissé ses affaires, portable, argent,
clés, tongs sur Shabby. Où est elle? Au matin, Pierre et moi sommes
toujours seuls sur nos canots respectifs. Je m'inquiète un peu pour
Olga mais les probabilités que quelque chose de facheux lui soit
arrivé restent faibles. C'est surtout Lila qui m'angoisse, d'autant
qu'il lui manque pas mal de cases. Pierre et moi avons ratissé Clube
Naval Charitas à sa recherche et encore une fois, elle n'a pas pu
rentrer à Rio sans argent. Alors quoi? Alors, le plus probable
désormais est qu'elle soit tombée dans le port et ait coulée à
pic..... La dernière fois que je l'ai vue, elle était assise sur le
balcon avant de Shabby à regarder les étoiles. Pour avoir vécu un
tel cauchemar à Hyeres, juste avant mon départ, je sais comme tout
peut très mal tourner, très vite. Pierre et moi agissons comme des
robots. Je drague le port aux alentours de Shabby avec mon grappin.
On se donne jusqu'à 13h pour prévenir la police et chercher un
plongeur. Et puis revoilà Lila, fraîche comme une rose, vivante.
Elle a dormi dans un des salons de réception, dernier endroit où
nous avons pensé la chercher. Pierre et moi revenons de l'enfer, ou
presque sinon la légère inquiétude concernant l'absence d'olga qui
réapparait aussi en début d'après-midi après une belle nuit
Carioca sans scorie de notre dispute de la veille. Nous sommes aux
anges, tels des rescapés d'un cauchemar très, trop vraisemblable.
Les brésiliens sont
relax mais dans ces Iate Club huppés, il y a quand même une
étiquette à respecter. Lorsque les employés du club trouvent au
matin une clando sans carte d'accès dans l'enceinte, qu'en plus elle
dort dans le salon de réception du club sur le sofa du Commodore et
qu'en plus, elle a un peu fait pipi dessus, on atteint alors un stade
où le Commodore de ce club d'origine militaire est très très
fâché. Shabby est donc sommé de deguarpir dans l'heure avec Lila.
Je suis fatigué de toutes ces péripéties, un peu comme si, tel un
gros goinfre maladivement insatiable, j'avais commandé un festin
trop gargantuesque dont je ne peux venir à bout. Je n'en veux plus.
J'ai envie de repos et de calme. Nous appareillons à minuit le
lendemain pour Ilha Grande, distante de 55 milles. La sortie de la
baie et la nav ne présentent aucune difficulté particulière mais
mes sens me donnent des indications totalement erratiques et
erronnées par rapport aux instruments et à la carte. Tel rocher si
proche, tel feu mouvant qui ne doit pas l'être, ce courant qui
n'existe pas. Je suis pourtant parfaitement éveillé et en forme
mais mon sens marin généralement au moins correct, ne cesse de
m'induire en erreur. Si j'étais seul encore, mais Olga aussi est
également complétement azimutée par ses perceptions. Alors on s'en
tient au rationnel: instruments et cartes, laissant de côté notre
radar interne completement détraqué pour une raison que je ne
m'explique pas. L'hémisphère sud?
Pas de vent, pas de vent,
pas de vent. Moteur, moteur. Quelle pétole par ici.... Juste cet
énèrvement bizarre qui intervient vers 7h, quand je laisse le canot
à Olga. Un Nord Est improbable s'excite pour passer de presque zero
à 30 noeuds en moins d'une heure. Pas prévu, aucune logique. Bah,
au moins ça booste les dernières heures de nav mais va-t-on alors
pouvoir mouiller dans cette baie exposée NE justement? Et bien oui
car le vent diminue et cesse alors que nous y arrivons. Absurde.
Incompréhensible, digne de la Méditérannée. Le baro n'a même pas
bougé. Je renonce à comprendre. Hemisphère sud?
Ilha Grande est une île
fantastique. Montagneuse et couverte quasiement partout d'une forêt
tropicale dense, elle ne compte que quelques villages de pêcheurs,
une petite ville touristique, point de départ des excursions en
bateau, quelques poussadas isolées et quelques bars à Caipis
flottant où l'on va prendre un verre en annexe (trop forts ces
brésiliens). Pas de voiture, pas de route, des oiseaux
invraisemblables, des mouillages plus somptueux les uns que les
autres, distant de quelques milles à peine. Si le grand Architecte
ne s'est pas trop cassé pour disons, le Nord de France, il a fait
par ici du très bon boulot. Je n'aime généralement pas m'éterniser
dans un même mouillage mais ici, chaque départ vers le suivant est
repoussé au lendemain. Enseada Das Palmas: plage idyllique et eaux
parfaitement calmes, à à peine une demi-heure à pied à travers la
forêt de Lopes Mendes, orientée sud, où déferle un gros swell qui
attire tous les surfeurs de la région. Eclate en body board dans les
vagues jusqu'à ce qu'Olga se fasse briser par une grosse vague et
que j'achève le moorey en le cassant en deux; Abraao, le village
touristique, où nous sommes gentiment invités à une fête par des
brésiliens après que le Brésil ait à nouveau gagné; Saco De Ceu,
cirque de verdure protégé de tous les vents où la surface de l'eau
est si lisse que les étoiles s'y reflètent; Lagoa Azul où comme
son nom l'indique, les eaux sont idéales pour la plongée.....
Pierre et Shabby nous ont retrouvé et nous passons nos journées à
nager, plonger, explorer la côte en canoe ou en annexe, fêter avec
un peu d'avance les 30 ans d'Olga en faisant griller du poisson sur
la plage. Hédonisme total d'autant que nous sommes en hiver et en
morte saison. A part le week-end dans certains mouillages, nous
sommes souvent seuls et goûtons cet extrême privilège, à la façon
dont on jouit de Porquerolles un jour de semaine, par une belle
journée encore chaude de septembre alors que trois semaines plus
tôt, le mouillage était encore noir de monde. Le soleil bas de
l'hiver émbellit ce joyau de sa lumière rasante. La nuit tombe
vite, vers 17h et ces jours courts dans une ambiance d'été ne
cessent de bousculer nos repères habituels. Sans le soleil, nous
sommes parfaitement incapable d'estimer l'heure qu'il peut être.
Minuit? Non, seulement 21h... Troublant cet hémisphère sud. Hiver
en été ou le contraire, je ne sais plus trop. Et puis ces heures
diurnes qui passent merveilleusement lentement... Pierre n'a pas ce
probléme. En tant qu'africain, c'est évidemment parfaitement
naturel pour lui. C'est même pour lui la meilleure époque de l'année, « Just like Durban!». Alors à défaut de nous
habituer à ce boat-lag durable, Olga et moi nous en amusons. Tant
pis pour l'horloge interne détraquée, les sommeils en pointillés
quelque part entre 22h et 2h du mat puis entre 4h et 8h. C'est
intriguant mais pas désagréable.
Nous avons mis fin à
notre robinsonnage le 1er et mis le cap sur le continent, à Angra
Dos Reis. Olga retourne en effet en France le 7 juillet et elle
souhaite aller faire un tour à Paraty ainsi que passer encore deux
jours à Rio. Angra ne me tentait pas plus que ça mais la ville, la
plus importante sur la côte entre Rio et Sao Paulo, se révèle très
vivante et agréable. Angra vit autour du tourisme, de la pêche et
du pétrole et est ultra commode à bien des niveaux. Bus toutes les
30 minutes pour Rio ou Sao Paulo; Shopping mall nickel où l'on peut
se garer gratos en bateau et amener les caddies jusqu'à son bord;
shipchandlers de rêve où je lutte pour ne pas me laisser aller à
de achats compulsifs après tant de mois de disette.... Angra est
cool aussi. Populaire, bigarée, ses habitants nous ont donné
aujourd'hui une belle leçon d'élégance: Après s'être fait sortir
des quarts de final par les pays bas, ils se sont malgré tout rendus
en masse sur la place, ont lancé le massive sound system et ont
dansé.....