Elle me regarde. Droit dans les yeux. Sans un mot. Juste les lèvres entrouvertes, comme pour s'apprêter à sauter, comme pour se préparer à l'élan. Son âme brille dans ses yeux, elle m'illumine, me transperce, mon cœur reçoit un pieu mortel, profond, comme une main qui me serre de l'intérieur, m'agrippe les tripes flambantes, me plaque à terre comme un ailier farouche avide d'en découdre. Elle me prend la main, douce. Et mon cœur ralentit son pas, freine, s'arrête presque, ce faisant libère une parcelle de bonheur en moi, comme si le point de suspension sécrétait lui-même l'élixir tant désiré...
Elle m'entraîne loin des autres, à l'abri des vies inutiles, à l'écart de l'agitation menteuse du monde. Elle est d'un calme absolu. Je tremble sur mes pauvres pattes éprouvées par ce contact. Elle ne parle pas. Elle est tout entière dans le regard plongé en moi, et elle ne demande rien. La pente est vertigineuse, celle qui mène au premier geste. Faut-il plonger, faut-il respirer, se taire, parler ? … Faut-il agir ? Elle ne fait rien. Elle ne bouge pas. Elle me regarde.
Et d'un coup je comprends, le ciel bascule, les digues rompent les unes après les autres, dans un flot inhumain de larmes amoncelées : elle ne parle pas car elle m'écoute. Je suis en train de lui dire mes plus secrètes pensées, mes troubles les plus intimes, mes errances les plus noires, sans qu'un seul mot ne soit sorti de ma bouche. Elle se tait parce qu'elle m'écoute et qu'elle m'entend, moi qui ne dis rien.
PHOTO de "le passant qui passe" : http://www.zphoto.fr/saba