Il a bien tenté de riposter, de protéger son fidèle trésorier. Sarkozy a dû lâcher quelques annonces de rigueur pour corriger l'image d'un gouvernement en déconfiture morale. Fillon a demandé à ses ministres de faire front. Mais l'avalanche de révélations quotidiennes n'a pas ralenti son rythme. Eric Woerth est devenu la nouvelle icône des relations troubles entre la Sarkofrance et les forces de l'argent. Les coulisses de la mandature Sarkozy se dévoilent jour après jour.
Eric Woerth, le bouclier de Sarkozy...
L'affaire était bien «d'Etat». Les rapports entre Eric Woerth et Liliane Bettencourt, mis à jour par la publication d'enregistrements pirates de conversations entre la milliardaire et son gestionnaire de fortune voici 15 jours, font plus que jamais l'actualité. Chaque jour de cette semaine, de nouvelles révélations sont venues divertir l'attention, choquer l'opinion, acculer le gouvernement. Le ministre se défend de toute illégalité, clame qu'il n'a jamais été informé du profil fiscal de Mme Bettencourt. On se souvient pourtant de l'affaire Dray, où Eric Woerth semblait sacrément bien informé d'un dossier qui se révéla vide. Le weekend dernier, Sarkozy s'était agacé d'être interrogé, samedi puis dimanche, sur cette affaire, alors qu'il traitait du sort du monde au G20 de Toronto. L'heure était à la solidarité gouvernementale.
Dès son retour, lundi, Sarkozy a voulu riposter avec quelques annonces de rigueur, et corriger l'image désastreuse donnée par Blanc, Estrosi, Joyandet, Amara ou Yade et leurs récents dérapages de frais divers. «Moi, je ne suis pas le genre à faire ça !» explique-t-il lors d'un déplacement en province, jeudi, en faisant allusion aux cigares de Christian Blanc. Et Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, justifie l'exemplarité du président : quand il prend l'avion, «Sarkozy paye lui-même son dentifrice.» On oublierait presque les invitations de séjour, de yacht en villas prestigieuses, ou la rénovation intégrale des appartements de l'Elysée dès son élection en mai 2007 (alors qu'il ne les habite quasiment pas).
Dans une lettre adressée à François Fillon, et opportunément publiée par l'Elysée, Sarkozy parlait donc de «lutte contre les gaspillages», et réclamait un gouvernement «exemplaire». Désormais, les dépenses privées des ministres seront à leur charge... On se frotte les yeux. Avant, ils tapaient donc dans la caisse, s'interroge Martine Aubry. Le Monarque se prive des chasses présidentielles (qu'il avait rétablies en 2007), et promet de vendre ses deux moyens courriers dès la livraison de son nouvel Airbus à 176 millions d'euros (plus les deux Falcons à 35 millions pièce). Bel effort ! Aux agents de l'Etat, il demande de préférer le train à l'avion, exige une réduction de 10% des frais de fonctionnement et dépenses d'intervention de l'Etat, et veut qu'on supprime 7000 logements de fonction d'ici 2012. Mardi, il confie à des députés UMP qu'il virera les ministres coupables de négligences lors d'un remaniement ... en octobre. Coûte que coûte, Sarkozy veut maîtriser le calendrier. La presse s'amuse de cette clémence: s'il y a des abus, pourquoi attendre 5 mois pour les sanctionner ?
Mercredi, François Baroin détaille le plan de cure sur les services publics: informatisation généralisée, centralisation des achats, regroupement des services, fusion des directions et des corps, et ... réduction de postes dans la fonction publique (100 000) et chez les opérateurs de l'Etat.Il faut trouver comment économiser 3 milliards d'euros de salaires, 2 milliards d'euros de frais généraux et 5 milliards d'euros sur les programmes publics. Les efforts ne sont pas chiffrés par ministère ou action de l'Etat. Le gouvernement dessine les contours d'une fonction publique à deux vitesse, l'une pour celles et ceux habiles et compétents pour surfer sur le Web et remplir toute sortes de formulaires électroniques pour la moindre demande, l'autre, les laissés pour compte de cette transformation «informatique» des services de l'Etat, celles et ceux qui, faute d'argent ou de formation, ne maîtrisent pas ou n'auront pas à accès à l'outil informatique.
Autre riposte, les ministres accusent la gauche d'attaquer Woerth pour éviter de parler des retraites. On croyait que la concertation était close, qu'il n'y avait pas d'alternatives au projet Sarkozy. Eric Woerth et George Tronc ont dû clarifier en vitesse, cette semaine, le sort des fonctionnaires mères de trois enfants. Quinze mille personnes risquaient de voir diminuer leur pension dès le 13 juillet prochain. A la télévision, le gouvernement s'est pourtant payé des spots publicitaires pour défendre sa réforme «juste» des retraites. Elles inondent les écrans publicitaires des chaînes nationales et d'information pour quelques millions d'euros.
Enfin, pour éteindre les critiques, François Baroin concède le lancement d'une enquête de l'Inspection Générale des Finances pour faire toute la lumière sur cette affaire. Et pourquoi pas la justice ?
... qui craque
La riposte sarkozyenne a fait long feu. Un sondage de fin de semaine affiche 71% d'opinions défavorables à l'encontre du Monarque. Et chaque jour, une nouvelle révélation vient ruiner les efforts de la veille. Ainsi, Mediapart révèle le jour même que Mme Bettencourt n'aurait fait l'objet d'aucun contrôle fiscal depuis 15 ans. François Baroin venait d'expliquer que les gros contribuables font l'objet de vérifications fiscales tous les ans. Toujours selon le site d'information, Mme Bettencourt a reçu en mars 2008 un remboursement de 30 millions d'euros au titre du bouclier fiscal, une opération validée vu son montant par le ministre du Budget de l'époque et confirmée vendredi par l'ancien comptable de Mme Bettencourt. Eric Woerth dément. Pourtant, la demande de remboursement datait de quelques semaines à peine, entre janvier et février 2008. Et le Monde ajoute que le ministre Woerth avait dîné avec Mme Bettencourt... en janvier 2008. Et, selon les enregistrements pirates, Mme Bettencourt disposait par ailleurs de deux comptes non déclarés en Suisse pour 81 millions d'euros.
Les grandes déclarations de l'automne 2008 contre les paradis fiscaux sont oubliées. Même la fameuse chasse à la fraude, activée par Eric Woerth au printemps 2009, en prend un coup. La Cour des Comptes a publié son analyse du contrôle fiscal en France. Ses constats sont rudes pour les thèses gouvernementales : rendement insuffisant et stagnant, réduction des effectifs dédiés au contrôle, récolte insuffisante des pénalités et redressements (à peine 37% en 2008 !), contrôle insuffisant des niches fiscales et de l'ISF... fichtre, le tableau est noir. Rue89 ajoute quelques témoignages d'agents du fisc confirmant que, contrairement aux propos du ministre Woerth, les contrôles fiscaux sensibles ou importants sont soumis au ministre du Budget.
Autre information, cette comptable a déclaré que son employeur lui demandait de retirer chaque semaine 50 000 euros en espèces pour des donations diverses, «possiblement» pour des personnalités politiques, répertoriées sur un fameux carnet. On imaginerait normal que la justice demande à avoir connaissance de ce fameux carnet. On en est bien loin. Dans le procès Banier-Bettencourt, qui s'ouvrait ce jeudi, la juge a demandé un supplément d'information du fait du versement des fameux enregistrements au dossier. Mais le parquet a fait appel de cette décision de renvoi !
Sarkogate
Au final, les réponses du clan sarkozyste à cette avalanche de révélations paraissent inefficaces et hors propos. Rien d'illégal n'est reproché à Eric Woerth. La corruption n'est pas judiciaire mais morale. Le mélange des genres est manifeste. Aucune enquête judiciaire n'a été ordonnée pour juger de la réalité de ces conflits d'intérêts. A droite, l'unanimité s'est fissurée cette semaine. Alain Juppé puis Christine Lagarde ont suggéré à Eric Woerth qu'il clarifie ses fonctions. Le président UMP de l'Assemblée Nationale a exprimé son accord pour l'organisation d'une commission d'enquête parlementaire.
Le WoerthGate est en passe de devenir un Sarkogate. En Suisse, la Tribune de Genève parle de Genevagate qui menace Mme Bettencourt et le couple Woerth, d'«un véritable montage financier d’évasion fiscale». Certains gestionnaires suisses voient dans les tourments d'Eric Woerth un juste retour de baton, après la chasse à la fraude qu'il leur a fait subir voici un an. Selon le quotidien suisse, Florence Woerth habitait quasiment à demeure à Genève. Mais c'est toute la politique fiscale de Nicolas Sarkozy qui est à nouveau attaquée. Au début de l'année, le bouclier fiscal était durement critiqué: il protégeait les plus riches des efforts de rigueur imposés au plus grand nombre. Cette fois-ci, la proximité du clan Sarkozy avec les grandes fortunes, y compris pour son financement politique ajoute une nouvelle dimension à l'affaire: depuis 2007, Nicolas Sarkozy gouverne pour un clan, quelques centaines de grands donateurs de son «premier cercle». On le savait, mais voici que les coulisses sont enfin dévoilées.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
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