Xavier Raoux
La France change de couleur
Partout, à la tête de l'Etat ou des entreprises, dans la chanson, à la télévision ou en politique, de nouvelles têtes, brunes, métissées, noires ou maghrébines sortent de l'ombre. Les minorités invisibles sont enfin sous les projecteurs... On ne peut malheureusement pas faire le même constat en regardant les pubs et les magazines : la mode serait-elle une citadelle imprenable où s'échouerait la nouvelle vague de la diversité ? Là, les têtes sont souvent blondes et les visages diaphanes. Les mannequins de couleur sont rarissimes dans les magazines. Et le papier glacé renvoie une image uniforme à une société qui ne l'est plus...
Quand Elite, la prestigieuse agence de mannequins, lance ses premiers castings en banlieue (en mai, à Thiais, en juillet, à Rosny-sous-Bois), tous les espoirs sont permis. Pourtant, le résultat est assez décevant : les filles mates et métissées ne sont pas les grandes gagnantes de cette sélection. Même si on ose encore espérer une bonne surprise lors de la finale, le 9 octobre... Après avoir médiatisé ces castings " différents ", la presse dénonce un milieu qui a décidément du mal avec le " black, blanc, beur ".
A Marie Claire même, nous ne pouvons nous prévaloir que d'une seule couverture avec un top model black, Naomi Campbell, il y a plus de dix ans. Naomi, une icône plus qu'un mannequin... Sa relève ou celle d'Iman, ce mannequin liane, ou encore de la superbe Alek Wek, avec sa peau aux reflets presque mauves, n'est pas encore assurée. Noémie Lenoir, l'égérie noire de L'Oréal, a d'abord explosé aux Etats-Unis, avant de débouler en France en comédienne déjà adoubée. Et si les Asiatiques font de très timides apparitions, les Maghrébines restent les grandes absentes de ce milieu glamour.
Même quand une marque est ouverte à la différence, comme La Redoute qui s'adresse à un public très varié, elle a du mal à trouver ses modèles. " Voilà plus de dix ans que la diversité s'est imposée à nous, explique Olivier de Raissac, chef de groupe communication Femme, qui fait des dizaines de castings par an pour les pages du catalogue. Mais pour trouver en agence des mannequins multiethniques, je suis obligé de me rendre à l'étranger... "
Les campagnes bigarrées de Benetton ne resteront-elles qu'un épisode exotique ? Brice Compagnon, qui a été un des collaborateurs d'Oliviero Toscani, photographe de Benetton, est aujourd'hui directeur de casting indépendant. Son terrain de chasse : la rue, pour trouver des " gueules " ; la diversité, justement... " Les marques restent frileuses, explique-t-il. Souvent, quand je propose des castings avec des gens de couleur, mes clients me disent : "Oh là là ! Ça fait vraiment trop Benetton !" Alors que c'est juste la rue qui est comme ça... "
Pour expliquer le blocage, on invoque aussi le besoin d'identification des femmes, moins évident avec des " top models de couleur ". Et le marché, bien sûr, de plus en plus difficile. Les mannequins blacks rapportent moins d'argent que les Blanches russes... Mais il ne faut pas oublier non plus le conservatisme de ceux qui deviennent de véritables gardiens d'une beauté classique, normative et lisse. " On a plus de mal à trouver de très belles Blacks avec une peau uniforme : leur peau est souvent marquée par des vaccins mal faits ou des piqûres d'insectes... Leurs cheveux sont difficiles à coiffer. Les "fesses des Noires" ne sont pas adaptés aux coupes de vêtements. Et puis, le nez négroïde, ce n'est pas toujours joli en photo ", débite une directrice d'agence sans ciller.
Quand la mode saura-t-elle enfin s'ouvrir à des beautés différentes ? Certes, les choses bougent. Dans la haute couture (chez Yves Saint Laurent, Lanvin), mais aussi dans le street wear (Adidas, Nike) et le maquillage (Clarins, L'Oréal). Et surtout sur les podiums, où les métisses et les Noires ont déjà fait leur entrée. En mars dernier, Barbara Bui a fait défiler des Asiatiques. D'ailleurs, elle n'hésite pas non plus à faire appel à de " petits " mannequins de 1,70 m... Mais n'oublions pas que la cible des podiums, ce sont des rédactrices de mode qui passent leur temps entre Tokyo et São Paulo, et sont largement ouvertes à des beautés hors norme. Le grand public, lui, reste visiblement réticent à se reconnaître dans des modèles " exotiques ".
Mercedes Erra, publicitaire et présidente de BETC Euro RSCG, est plutôt confiante en l'avenir : " Avec certaines femmes enfin au gouvernement, la société vient de se trouver des modèles féminins venant du Maghreb, souligne-t-elle. La mode et la pub suivront... " En attendant, les critères de sélection des mannequins de couleur sont toujours plus sévères. Elise, jeune Black sculpturale qui rêve de devenir top model, explique : " J'ai rencontré un chasseur de têtes. Il m'a demandé combien je mesurais : 1,76 m. Il m'a dit : "Ça risque de coincer. Pour les 'minorités ethniques', les critères sont plus stricts. Il faut faire 1,80 m et être plus mince que les Blanches." J'ai alors compris que je n'aurais pas les mêmes chances que les autres. "
Pourquoi encore tant de frilosité ? Pour lever les verrous d'une mode coincée qui refuse de se regarder en face, peut-être faut-il aussi se pencher sur nos propres critères de beauté... D'où viennent-ils ? Pourquoi sommes-nous aussi conservateurs ? Pour comprendre, nous avons convoqué les acteurs qui œuvrent à chaque étape d'une campagne ou d'un reportage de mode. Ils s'expliquent.
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