C’est un détail. Le vote sur la « rénovation socialiste » n’a fait se déplacer qu’un militant sur 3. Et encore est-ce là un pourcentage national, assombri par des chiffres bien plus bas dans une fédération socialiste aussi dynamique que celle de Paris (moins d’un votant sur 5 inscrits). C’est un détail – mais un de ces détails qui en disent long. La rénovation socialiste, « cadeau » fait par Martine Aubry à ses militants lors des dernières universités d’été de La Rochelle, a été boudée par ces mêmes militants. Bien sûr, on peut toujours trouver des explications extérieures – les abstentionnistes du jour auraient en fait été sur le front des manifestations contre la réforme des retraites. Mais quid du scrutin interne précédent sur le modèle économique et social, pareillement boudé par les socialistes ? Ce sont en fait tous les votes internes du PS depuis le congrès de Reims qui sont victimes de cette abstention de masse, dont l’analyse reste à faire. Vote avec les pieds ? Désintérêt pur et simple ? Protestation contre un mode de fonctionnement qui n’associe que trop peu les militants, comme pour l’élaboration des listes de candidats pour les européennes ou les régionales, où l’adhérent socialiste ne put qu’approuver ou refuser en bloc une liste toute faite ?
L’organisation d’une succession de conventions thématiques mensuelles à marche forcée n’est sans doute pas pour rien dans la présente abstention. Sur la « rénovation » comme sur l’économie, il faut, en un petit mois, avaler à toute vitesse un nombre important de réunions officielles statutaires des différentes instances nationales et fédérales, avec un délai bien trop court entre la publication des textes officiels, leur arrivée chez les militants, et le moment où il est possible de déposer d’éventuels amendements, avant de voter définitivement. Le débat à la base n’a (presque) pas eu lieu, et l’espace pour des contributions (en amont) ou des amendements (en aval) des militants s’est réduit à une véritable peau de chagrin. Peut-être le modèle inavoué de cette sarabande de conventions – qui reprendront en septembre – est-il la série des conventions du projet de l’UMP organisées par Emmanuelle Mignon en 2005-2006 ; mais celles-ci n’avaient pas été conçues pour associer largement les militants, mais plutôt pour réunir et afficher des experts. De fait, la grande masse des adhérents socialistes voient passer le train des projets thématiques sans avoir d’autre pouvoir qu’un vote oui/non sur le texte, et sur les amendements ; amendements qui sont déposés, en grande majorité, par des courants ou des « cadres » du parti. Les uns et les autres représentant les équilibres issus du congrès de Reims, qui n’ont, de l’avis général, plus beaucoup de réalité. Le « bottom-up » attendra … Les moyens d’associer plus largement les militants ne manquaient pourtant pas, à commencer par la CooPol, mais le réseau social du PS n’a globalement été utilisé que comme un forum ou une boîte aux lettres où déposer des idées.
Au-delà de la forme de la consultation, il y a le fond des propositions. Un texte sur la rénovation devrait en toute logique parler, au moins en bonne partie, du rôle des militants, et de la vie générale du Parti. Quels sont les points abordés dans le texte voté jeudi 24 juin ? Les primaires ; le cumul des mandats ; l’organisation des congrès du point de vue des motions et des candidats au poste de premier secrétaire ; l’autorité éthique socialiste ; enfin le renouvèlement et la parité des candidatures aux élections. En bref, « les (futurs) élus parlent aux cadres, et réciproquement ». Par ailleurs, parité et non-cumul mis à part, les propositions mises sur la table donnent plus le sentiment de répondre à la mode du moment (les primaires) ou à des traumatismes récents (la commission d’éthique ou « haute autorité ») qu’à un questionnement fondamental sur le rôle, le fonctionnement, le devenir d’un grand parti centenaire comme le PS.
Entendons-nous bien, même si certains de ces points se rapprochent de l’anecdotique ou de la « tambouille » interne fort peu politique, il s’agit dans leur grande majorité de sujets importants pour l’avenir du PS. Mais incontestablement, le point de vue du « simple » militant, ses attributions, le quotidien, en bref, de tous les socialistes qui n’envisagent pas de devenir président de la république ou de se faire élire, a été purement et simplement oublié. En vérité, une seule des mesures votées a un impact considérable sur ces militants : les primaires, qui vont les … dépouiller d’une de leurs dernières fonctions, le choix du candidat à la présidentielle. Il est frappant que rien n’ait été pensé ou même esquissé pour contrebalancer cette révolution. Quel intérêt, aujourd’hui, d’adhérer au parti socialiste, plutôt que de simplement s’inscrire pour la primaire ? Quels ont été, d’ailleurs, les résultats de la campagne d’adhésion lancée au lendemain du succès des régionales ? Quid de ces « scies » que l’on entonne à chaque réflexion sur le PS – formation interne, « empowerment » des adhérents, « intellectuel collectif » … – sans jamais leur donner de débouché concret ?
Certains amendements locaux dans ce sens ont néanmoins été votés et il sera intéressant de voir s’ils seront, ou non, repris et intégrés dans le texte définitif que valide samedi 3 juillet le Conseil National du PS (son parlement) au Carrousel du Louvre. Mais le silence du texte original sur ces questions pourtant fondamentales reste questionnant. Oubli, terriblement significatif ? Ou accord tacite des dirigeants du PS, toutes tendances confondues, sur le constat confortable et paresseux que l’on ressort au besoin, celui d’une « évolution » du militantisme, de la régression « inévitable » du nombre de militants dans les partis politiques classiques ? L’augmentation remarquable des effectifs et du PS, et de l’UMP, en 2006-2007 vient contredire cette fausse fatalité. Certes, la possibilité de choisir le candidat à la présidentielle a sans doute pesé lourd dans les pics d’adhésions de l’époque. Mais probablement pas plus que la promesse d’une nouvelle forme de politique, portée notamment à gauche par Ségolène Royal et sa démocratie participative. Beaucoup de ces néo-militants ont disparu dans la nature depuis. Mais qu’a-t-on fait pour les associer, les former, les conserver ?
On peut défendre le modèle d’un parti-éponge, réduit à une ossature de cadres et d’élus hors grandes échéances, et qui se gonfle soudainement de sympathisants (les adhérents des primaires) lors du scrutin présidentiel. Mais un tel parti, voyons les choses en face, ne peut avoir fonction d’interface avec la société, pas plus qu’il ne peut nourrir de vraie ambition de transformation sociale. C’est une simple structure utilitariste et électoraliste, condamnée à subir les aléas de l’opinion, plutôt qu’à la façonner durablement. A 100 000 adhérents (si tant est qu’ils soient encore là), le PS dispose d’un militant pour convaincre 654 Français, ou 436 électeurs … ratio peu réaliste s’il en est. Avec un 0 de plus – celui que l’on espère d’ailleurs pour les électeurs des primaires socialistes – le rapport au pays deviendrait tout autre.
Les slogans de « parti de masse » ou de « parti de militants », rituelle litanie des congrès, n’ont jamais sonné aussi vide qu’aujourd’hui. On peut craindre que cette conception finalement très élitiste du parti – les élus et leurs proches commandent, la « base » est périodiquement consultée de façon référendaire, entre deux collages d’affiches, et les circulations entre ces deux « mondes » dépendent du bon vouloir des premiers – ne soit que le pendant d’une idée plus large de la politique, assez éloignée du peuple. Or la gauche n’est gauche que si elle a, justement, le sens et le souci du peuple. A méditer d’urgence d’ici à 2012.
Romain Pigenel