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Tu ne sais pas qui est Myronidès !

Publié le 02 juillet 2010 par Jlhuss

Article Chambolinus de l’Encyclopedia Mondialis : Ce personnage, inconnu par ailleurs, aurait vécu à Autissiodurum dans la Gaule de la décadence, on a de lui quelques lettres assez mal imitées des classiques. Elles sont adressées à des personnages vraisemblablement fictifs. 

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Chambolinus  à son ami Bellicus

Comment, cher Bellicus, tu ne sais pas qui est Myronidès ! Tombes-tu de la lune ? As-tu passé ces dernières années sur quelque île déserte où n’arrivent ni les feuilles des journaux ni les ondes de la radio et de la télévision ?  On t’a pourtant donné des yeux pour voir et des oreilles pour entendre et tu feins d’ignorer l’éclat de sa gloire et le bruit de sa renommée ? Apprends de moi  qui est Myronidès et dis moi, s’il est un mortel plus digne de notre admiration !
Myronidès n’a pas, comme un quelconque Prix Nobel, découvert un moyen nouveau et infaillible de soigner une grave maladie. Il n’a pas imaginé une de ces ingénieuses machines qui épargnent la peine des hommes, pas plus qu’il n’a travaillé, au sein de nos assemblées délibératives, à la bonne marche de la Cité. Il n’a écrit aucun livre ni réalisé aucun film. L’art du peintre lui est aussi étranger que celui du sculpteur ou du musicien. Enfin, en dépit de son vocabulaire où abondent les termes guerriers, il n’a jamais songé à exposer sa vie pour défendre, les armes à la main, les principes de la République.

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Pourtant, si l’on écoute ses, nombreux, admirateurs, on pourrait croire qu’il lui arrive de porter l’uniforme. Mais ce n’est qu’une illusion. Myronidès n’a pas un uniforme mais une livrée dont, comme les laquais du temps passé, il change quand il change de patron. D’ailleurs, pour que nul n’en ignore, toutes les pièces de cet habillement sont marquées du nom ou du logo de ses employeurs du moment et l’on peut dire qu’un des mérites de  Myronidès et ses semblables est d’avoir rendu enfin rentable l’humble profession d’homme-sandwich.
Ainsi vêtu notre homme peu vaquer à ses occupations. Elles sont multiples et passionnantes. A peine l’aurore aux doigts de roses a-t-elle souri à l’horizon qu’il est au stade. Il y sautille. Il y court. Il s’y assouplit. Ensuite, en compagnie d’une vingtaine de ses camarades, il joue avec un ballon sur lequel un rite sacré lui interdit de porter la main. La partie terminée, il se livre aux doigts habiles des masseurs. Il emploie le reste de la journée à perfectionner sa plastique à l’aide d’appareils aussi divers qu’étonnants à moins que, grimpé sur une machine roulante mise en mouvement à l’aide de pédales, il ne se lance dans une course solitaire à travers la campagne environnante. Le reste appartient à son intimité, il n’en faut donc rien dire, même s’il se murmure que, sensible aux charmes des jeunes hétaïres, il sacrifie volontiers à Vénus sa virilité et une, petite, partie de ses économies.
C’est là, Bellicus, l’ordinaire de ses jours. Je suis sûr que tu penses que, pour captivant que soit cet emploi du temps il ne saurait justifier l’enthousiasme qui s’empare des citoyens au seul nom de Myronidès. C’est que ce héros n’est vraiment grand que, lorsque foulant le gazon synthétique d’un stade, entouré de ses coéquipiers il s’apprête à affronter un adversaire égal en nombre et en courage. C’est alors qu’il faut le voir courir ça et là sur le terrain (de gazon synthétique) à la conquête d’un ballon que lui disputent ses opposants et parfois ses alliés. Réussit-il à s’en emparer, la foule des spectateurs hurle son nom et, si d’un habile coup de pied ou de tête (mais pas de main) il réussit à l’expédier dans les filets de l’équipe adverse, le peuple de ses  supporteurs devient frénétique. Lui-même, saisit d’une transe sacrée se lance dans une imitation de la noble danse Phyrique si débridée que seule pourrait décrire la plume du plus grand des poètes.
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Mais il n’est pas de médaille sans revers et les Dieux, jaloux du bonheur des mortels, ont voulu faire payer à Myronidès la rançon de sa gloire. Son agent, ce laniste de nos modernes gladiateurs, plus soucieux de son compte aux îles Caïman que de l’équilibre de son client, l’a enserré dans une toile d’araignée faite de contrats dont il lui est devenu presque impossible de se dépétrer et, dans son âme, le plaisir du jeu a cédé l’obsession de l’argent. Les nouvellistes l’ont poursuivi de leurs questions. Au besoin, ils ont inventé les réponses qu’il ne leur donnait pas. Le public, enfin, qui l’adorait en mars l’a conspué en juin quand, ayant pour une fois, abandonné sa livrée mercantile il a revêtu le bleu national et s’en est montré de l’avis des patrons de bistrot et de leurs clients, tout à fait indigne.
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Mais ce ne sont là que de malheureux incidents. Ils seront vite oubliés. Le spectaculaire sacrifice de quelques sacs, remplis d’euros dévalués, sur l’autel de la déesse Solidarité et l’envoi au désert du traditionnel bouc émissaire, choisi, comme d’habitude dans la race des Koachs suffiront à calmer la colère d’un peuple qui veut bien qu’on augmente le prix du pain, à condition qu’on ne touche pas à ses jeux. Il suffira à Myronidès d’un tir bien ajusté pour retrouver la faveur de la multitude.
Je sais, cher Bellicus que tu t’intéresses peu à ces questions et que tu penses, tu me l’as souvent dit, qu’il  suffit que tu refuses de joindre ta voix au chœur des adulateurs des demi-dieux du sport spectacle. Médite, je t’en conjure, cette citation, tirée à ton intention du livre de Paul Veyne, sur l’Empire gréco-romain. Cet auteur y explique fort bien comment, partant de rites funéraires peu sanglants, nos ancêtres en sont arrivés non seulement à tolérer, mais encore à  applaudir la cruelle orgie des combats de gladiateurs : « La gladiature a pu exister parce que cette singularité monstrueuse s’est formée peu à peu, à petits pas et qu’à aucun de ces pas, elle n’a rencontré de résistance ; au contraire, le public trouvait cela normal et y prenait goût. Ainsi naissent et croissent les mauvaises habitudes… Rien ni personne n’a empêché le public d’y trouver le plaisir que donnent les émotions fortes, d’y satisfaire le goût répandu de la cruauté (l’indifférence au sort d’autrui étant non moins répandue). Cerains faits de civilisation prennent une grande importance qui n’est pas due à quelque grande cause qui les pousserait(…) mais à l’absence d’obstacles qui les arrêtent ; certaines choses ont si peu de conséquences, menacent si peu d’intérêts qu’elles flottent, pour ainsi dire, librement… »
Car telle est la question Bellicus : devons-nous laisser les choses flotter librement au risque de voir se former une singularité monstrueuse ?
Porte toi bien


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