Posté par Rémi Begouen le 2 juillet 2010
Un invraisemblable concours de circonstances (passons les détails) fait que j’entends cette phrase à la radio. J’arrête aussitôt mes activités tumultueuses pour écouter, en montant le son. Bientôt, je reconnais la voix très éraillée de mon vieux copain Blaise Cendrars (1887-1961) que j’ai un peu oublié depuis 20 ans : pardon Blaise et merci aux archives mises en ondes !… Blaise m’a toujours surpris, émerveillé, énervé, déçu… bref saoulé, et cette fois encore plus. Cela doit faire 50 ans, au moins, que c’est mon pote en liberté de poète. En poésie libérée… Oui, avant lui, il y eut Apollinaire (qui devint son pote) et bien d’autres depuis (Pichette, etc.). Et, en précurseur, le si prodigieux adolescent Arthur Rimbaud…
Mais voilà la surprise de cette émission : je ne connais pas ‘Dan Yack’, moi qui croyais bien connaître la si prolifique oeuvre de Cendrars ! Lequel rigole (comme toujours) à ce sujet !… Je note, intrigué, ce mot, que j’ai mal entendu (Blaise, tu causes mal !) sous le nom de Damiak. Plus tard, je vais chercher sur Google, en vain. Du coup je retourne à ma bibliothèque : Louis Parrot y signe un bel essai sur cet auteur, dans la collection ‘Poètes d’aujourd’hui’ de Seghers. C’est une (re)plongée dans l’œuvre (les 2/3 des livres de cette collection sont des ‘choix de textes’, suite à une très subjective et brillante présentation de l’auteur, en général). Sans surprise, je retrouve dans cet ouvrage des bouts de papier, des pages cornées, des notes marginales au crayon, bref je rajeunis d’autant. Et surprise dans la surprise : je connaissais ‘Dan Yack’ depuis 20-30 ans, puisque j’avais écorné les 3 pages qui le concerne !… Extraits :
‘…C’est ainsi que l’on découvre tout à coup des habitudes de fainéantise, de débauche, de pochardise dans une ville nouvelle ou dans un pays où l’on débarque pour la première fois. Une simple impression de dépaysement a suffi pour vous faire trébucher, hésiter ou vous pousser, plutôt par telle rue fréquentée que par tel chemin détourné, pour vous perdre. On va, on se promène, on regarde en flânant. On trouve innocemment ces crépuscules les plus beaux ou les plus malsains du monde.’
Et plus loin :
‘A quoi peut-on bien réfléchir devant son verre ? A rien. On est plein de murmures. On s’écoute. On en a déjà pris l’habitude. On est en plein marasme, en plein désarroi, en plein laisser aller. On en a déjà pris l’habitude, et l’habitude étant une seconde nature, de nouvelles habitudes sont comme une deuxième nature démultipliée ; c’est pourquoi tout penche et tout fléchit insensiblement, sans heurts, sans frictions, ce qui permet au rêve d’empiéter sur la vie, d’y empiéter d’une façon inavouable. Cela vous charme et vous séduit, ou vous éveille, ou vous épouvante, ou vous paralyse. Dans tous les cas, il est trop tard pour freiner. On se laisse vertigineusement aller comme dans un ascenseur qui monte et qui descend dans un puits sans issue. Le passé et l’avenir défilent à toute vitesse. On en a mal au cœur. Les jarrets sont coupés. Tout glisse. On n’a pas un seul point de repère. Tout est creux. Tout tourne. Tout déborde. On est ivre. Tout est prodigieusement proche. Tout est monstrueux, vous tombe dessus, vous sourit, vous dévore et se consume dans un immense éclat de rire.’
Moi je ris aussi : ‘on est pas sérieux quand on a dix-sept ans’ écrivait le poète Rimbaud. Et on est pas sérieux quand on est poète, toute sa vie et bien au-delà nous dit Blaise Cendrars !. La lucidité se tient dans mon froc, déclamait le rigolard Léo Ferré : elle se tient dans la libre poésie !