La rigueur pour les uns, le bouclier pour les autres.

Publié le 02 juillet 2010 par Juan
Mercredi soir, le ministre du budget a annoncé 150 mesures de rigueur. Le même jour, les fonctionnaires ont été fixés sur leur sort, avec un gel des salaires programmé pour 2011. Au Parlement, des élus godillots ont suivi sans broncher les recommandations du gouvernement. Et on apprend que Liliane Bettencourt n'a jamais fait l'objet d'une enquête fiscale en 15 ans et a touché 30 millions d'euros de remboursements d'impôts en 2008 grâce au bouclier fiscal. Ensemble, tout est possible. Surtout pour certains.
Parlementaires godillots...
Les députés UMP ont voté en faveur de la loi contre l'absentéisme scolaire, défendue par leur collègue Eric Ciotti des Alpes Maritimes. Cette loi, jugée inefficace et dangereuse par le monde éducatif, était l'un des derniers affichages sécuritaires du président français.
Le texte adopté mardi est court de 5 petits articles. Première disposition, les allocations familiales seront immédiatement suspendues après une 4 demi-journées d'absence dans l'année et un avertissement à la famille de l'élève. Ces allocations sont rétablies, à titre rétroactif, si l'enfant ne présente aucune absence dans le mois suivant la suspension. Si de nouvelles absences de 4 demi-journées sont constatées après la suspension, les allocations sont perdues pour la période concernée. Les familles bénéficiaires du revenu de Solidarité Active seront doublement pénalisées car les allocations familiales non versées seront quand même prises en compte dans le calcul du RSA.
« Dans le cas où, au cours d’une même année scolaire, une nouvelle absence de l’enfant mineur d’au moins quatre demi-journées sur un mois est constatée en dépit de l’avertissement adressé par l’inspecteur d’académie, ce dernier, après avoir mis les personnes responsables de l’enfant en mesure de présenter leurs observations, et en l’absence de motif légitime ou d’excuses valables, saisit le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales qui suspend immédiatement le versement de la part des allocations familiales (...).»
Au Sénat, le gouvernement avait été moins heureux. Les sénateurs centristes et de l'opposition avaient retiré, le 16 juin dernier, du projet de réforme des collectivités locales les dispositions relatives au mode de scrutin et à la répartition des futurs conseillers territoriaux par région. Mais coup de théâtre, lundi 28 juin : la commission des lois du Sénat rétablit le mode d'élection des conseillers territoriaux au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, quelques heures avant la deuxième lecture du texte en séance publique en pleine soirée. Elle reprend un amendement gouvernemental présenté par Brice Hortefeux. On invoque les absences, fréquentes le lundi soir, et la pression UMPiste sur les sénateurs centristes récalcitrants. L'objectif est simple : sécuriser le Sénat à droite, le plus longtemps possible.
Services publics «rabottés»
Mercredi matin en conseil des ministres, François Baroin a communiqué à ses collègues un ambitieux document au titre sobre: «Immobilier, carte territoriale et fonction publique au cœur de la modernisation des politiques publiques». La «modernisation de l'Etat» est l'autre nom de la rigueur. Le document reprend quelques unes des annonces faites lundi par Nicolas Sarkozy à son retour de Toronto. Cela fait partie du plan de communication général. Baroin commence par rappeler les objectifs et les enjeux de la RGPP. La Révision Générale des Politiques Publiques se veut être un «exercice d'évaluation continue pour garantir les résultats des réformes». Sur la forme, l'exercice est louable. Sur le fonds, cette politique affiche trois objectifs contradictoires : améliorer le service aux usagers, réduire de 10 milliards d'euros le budget de l'Etat d'ici 2013, et valoriser les agents de la fonction publique. Dans la réalité, la RGPP masque en effet une réduction de voilure qui met à mal nombre de services publics (police, éducation) sans réallocation de moyens vers les services en souffrance, et un gel des rémunérations des fonctionnaires.
Pour la période 2011-2013, les 10 milliards d'euros d'économies devront être trouvés à hauteur de 3 milliards sur les salaires, de 2 milliards sur les frais de fonctionnement, et de 5 milliards sur les dépenses dites d'intervention (subvention, allocations, etc). Pour atteindre ces objectifs, le plan prévoit de réduire de 100 000 postes la fonction publique, grâce à la «modernisation» des services, avec notamment :
- la centralisation des achats publics (avec un objectif d'économie de 1 milliards d'euros d'ici 2013),
- la centralisation des guichets physiques (dédouanements, demandes d'asiles, regroupement familial)  et à distance (fusion des 9 centres d'appel du 39-39, élargissement du périmètre du 39-39 à tous les renseignements administratifs, regroupement de tous les formulaires informatiques sur la même plate-forme),
- la dématérialisation des démarches  administratives (comme les demandes liées à l'urbanisme, d'aides agricoles, le développement du procès-verbal électronique),
- la dématérialisation et automatisation des procédures administratives (objectif «zero papier»), notamment dans les relations de l'Etat avec les notaires, les mutuelles et les collectivités locales,
- le désengagement de missions entrant en concurrence avec l’offre privée, comme l’ingénierie publique concurrentielle,
- la réorganisation des services de l'administration centrale (avec suppression de 10% des postes d'ici 2012), de certains services déconcentrés (comme les services culturels de l'Etat à l'étranger), et de la gestion des ressources humaines (réduction de 380 à 230 des corps de l'Etat, mutualisation des formations, etc.).
- le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux chez les nouvelles agences fusionnées (telles les agences régionales de santé mise en place l'an dernier), et les opérateurs de l'Etat.
Un paragraphe s'intitule «rendre l'Etat exemplaire». Le gouvernement détaille trois projets : réduire le coût des loyers privés payés par l'Etat (en fixant un plafond à 400 euros le mètre carré par an en Ile-de-France); réduire les surfaces utilisées par les agents publics (-187 000 mètres carrés depuis 2007, 500 000 mètres carrés à réduire d'ici 2012); et regrouper les administrations centrales par ministère.
A la lecture de cet inventaire des mesures, on mesure assez facilement qui seront laissés pour compte après cette transformation «informatique» des services de l'Etat : celles et ceux qui, faute d'argent ou de formation, ne maîtrisent pas ou n'ont pas à accès à l'outil informatique. Le gouvernement prend le risque de dessiner une fonction publique à deux vitesses.
Le gouvernement a également annoncé que les salaires des cinq millions de fonctionnaires de l'Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux seront augmentés de 0,5% au 1er juillet puis gelés en 2011. Pour se défendre, le premier ministre a expliqué que ces salaires avaient cru de 3,7% en 2009, alors que l'inflation était quasi-nulle, soit une forte progression du pouvoir d'achat... On rétorquera que la hausse des salaires de 2002 à 2008 avait été inférieure à celle du secteur privé. On se souvient également des promesses de 2007 faites aux fonctionnaires par le candidat de l'UMP, réinjecter la moitié des économies générées par les suppressions de postes dans une revalorisation de leurs rémunérations. La crise est passée par là, et le gouvernement préfère «moderniser» les services publics plutôt que de «moderniser» la fiscalité nationale.
Bref, on s'achemine, gentiment mais sûrement, vers une rigueur qui ne dit pas son nom. C'est le choix du rabot, une démarche que Sarkozy espère prudente à l'approche des élections...
«Moi, je ne suis pas le genre à faire ça !»
Jeudi, l'affaire Woerth/Bettencourt a été à la hauteur de ses promesses. Mediapart (encore lui !) lâche deux informations : Liliane Bettencourt a touché 30 millions d'euros de remboursement d'impôt grâce au bouclier fiscal en 2008. On imagine mal que le ministre du budget de l'époque, Eric Woerth, n'ait pas eu connaissance de cette information magistrale à l'époque. Le ministre de tutelle est censé valider de tels virements pharaoniques. Mediapart précise d'ailleurs que ce remboursement, réalisé par virement bancaire, a été effectué «avec une célérité remarquable» : un avocat fiscaliste de Mme Bettencourt a écrit entre la fin du mois de janvier et le début du mois de février 2008. Et la milliardaire a été remboursée ... en mars de la même année. Un service V.I.P. ! Le trouble est d'autant plus grand que le Monde a révélé qu'Eric Woerth a dîné avec Mme Liliane Bettencourt le ... 30 janvier 2008.
On sait, depuis quelques semaines, que Mme Bettencourt disposait de deux comptes suisses non déclarés, respectivement dotés de 78 et 60 millions d'euros, ainsi que d'une île aux Seychelles tout aussi peu déclarée.
Autre révélation, Mme Bettencourt n'aurait fait l'objet d'aucun contrôle fiscal depuis 15 ans. Qui croyait que le bouclier fiscal, créé sous Villepin, renforcé sous Sarkozy, permettait des remboursements après vérification et enquête ? L'actuel ministre du budget François Baroin expliquait hier encore: «Les patrimoines de plus de 3 millions – et on peut sans fausse naïveté penser que Mme Bettencourt a un patrimoine supérieur à 3 millions d'euros – sont contrôlés tous les trois ans.» Et bien c'est visiblement faux.
Nicolas Sarkozy, lui, se chiraquise à grande vitesse. Il s'éloigne, autant que faire se peu. Il tente d'éviter les éclaboussures. Il préfère les bons mots, qu'il est certain de voir répéter. En déplacement dans l'Aveyron, il a ainsi taclé deux de ses ministres. Christian Blanc et ses cigares eut droit à : «Ce sont mes cigares. Moi, je ne suis pas le genre à faire ça !». . rama Yade, elle, est fixée sur son sort avec cette belle réplique: «Je le dis sous le contrôle de David (Douillet), moi, j'adore le sport, surtout depuis que je suis secrétaire d'Etat au Sports». Et paf ! Sarkozy tente de maîtriser un calendrier qui lui échappe. «Gagner plus pour gagner plus» ? Il est temps de commencer à perdre.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Crédit illustration: Alain Legorce


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