Alma s'en va (suite)

Publié le 01 juillet 2010 par Christian Cottet-Emard

(Nouvelle en mini-feuilleton)

La version intégrale de cette nouvelle que j'ai écrite à la fin des années 1990 est parue en deux épisodes dans le n° 16 (janvier 2000) et le n° 17 (avril 2000) de la revue Le Jardin d'essai et aux éditions Orage-Lagune-Express qui en conservent l'entier copyright. Tous droits réservés.

3

« Du café, major ?
— Merci. Pardonnez cette visite matinale, mais j'avais besoin de me dégourdir les jambes. J'ai marché dans la pinède et je me suis retrouvé chez vous. Votre maison est la dernière avant la dune.

— Oui. Un jour,le sable entrera par la cheminée ! Après, c'est la plage.
— J'espère ne pas vous avoir réveillé.
— Non. Je venais de prendre mon petit-déjeuner.
— Vous veniez même de commencer à écrire, ajouta le major en désignant le petit guéridon bancal qui me sert de bureau.
— Non. Je suis en panne. Ce cahier est ouvert à la même page depuis des semaines.
— Que faites-vous de vos journées?
— Je fume, je bois du café le matin et de l'alcool le soir.
— Et à part ça ?
— J'essaie d'écrire.
— Depuis quand êtes-vous installé ici ?
— Une bonne vingtaine d'années.
— Vous êtes encore jeune pour un retraité...
— J'ai beaucoup écrit pour de l'argent. Cela me permet aujourd'hui d'écrire peu pour rien.
— Je vois.
— Vous êtes venu sans votre ordonnance ?
— Il est en permission. Le temps lui sera clément.
— En effet, nous aurons une belle journée. Et cette épave ?
— Nous n'avons rien trouvé à l'intérieur.
— Qu'en pensez-vous, major ? »
L'officier sortit un morceau de bois de sa poche et le posa sur le guéridon.
« Je vous retourne la question. Pour moi, c'est un tas de bois pourri venu s'échouer sur la plage.
— Une telle quantité... Et sur une telle hauteur...
— Je vous souhaite une bonne journée. Merci pour le café.
— Vous oubliez votre pièce à conviction. »
Le major soupira.
« Vous pouvez la garder. J'en ai des tonnes sur la plage... »
4

Encore une journée sans écrire. Juste du vent, du sable, du soleil et des aiguilles de pin. Et aussi du café, de l'alcool et des cigarettes. L'hiver se déchire. Des stries de ciel bleu le craquellent comme un vieux parchemin. J'ai pu manger dehors, sur le balcon du haut, d'où l'on peut voir la mer au-delà de la dune. J'ai pris les jumelles, pour les oiseaux. L'épave est toujours là, massive. Voilà l'ordonnance du major qui tourne autour. Malgré son congé, il a gardé son uniforme. Je l'imagine facilement en civil. Il n'a rien d'un militaire. Cet air nonchalant, cette démarche souple... Tout le contraire du major. Pourtant, il m'inquiète. Sa façon de me fixer me met mal à l'aise. J'ai tort de m'inquiéter. Il ne peut pas savoir que j'ai gardé cette petite boîte puisque j'ai été le premier à pénétrer dans l'épave. Tu te fais des idées, mon petit vieux.

La boîte, la voilà. Je l'ai sous les yeux, ouverte. Des petits cailloux polis par les vagues. Avant de les réduire en sable, de siècle en siècle, l'usure les pare de couleurs qui varient selon la nature des roches. Certains sont translucides, d'autres marbrés. Quelques débris de coquillages effacés les rejoignent dans leur destin de sable. Voici même un tesson de bouteille aux faces et aux contours si bien polis qu'il s'épanouit dans tout l'éclat d'une pierre précieuse. On en trouve partout sur la plage et les gens les ramassent parce que l'eau fait chatoyer leurs teintes. À peine séchés par l'air, ils perdent de l'intensité et retrouvent leur condition de cailloux en quelques ricochets d'écume.

(À suivre...)

© Éditions Orage-lagune-Express