Il se peut que le discours de clôture soit déjà rédigé, et il est certain qu'une nouvelle fois des mesures fortes mais hypothétiques seront envisagées, tandis que des mesures moins sensationnelles seront réellement prises, et dont on ne découvrira les injustes effets que plus tard... enfin dans l'ensemble pas grand chose de nouveau.
Car il faut avouer que la situation n'est pas simple : les pays émergents, dont la future puissance ne fait plus de doute pour personne, ne seront sans doute pas d'accord pour réformer un système qui commence seulement à leur servir. Et c'est d'ailleurs de cela que toutes les tensions proviennent. A force de délocalisations, de recherches du moindre coût, d'optimisation et de rentabilité, les pays dits « développés » ont eux-mêmes créé le monstre dont ils sont aujourd'hui victimes. Ils semblent découvrir les lois du capitalisme, ainsi que les failles de celui-ci, au moment où la roue commence à tourner. Comme s'ils n'avaient pas imaginé que la mondialisation allait les engloutir, et que le libre-échange, qu'ils réclamaient pourtant, allait finir par abaisser leur compétitivité face aux autres pays. En assouplissant sans cesse les règles commerciales internationales, les anciens pays dominés pouvaient certes offrir de la main d'oeuvre et des coûts de production très bas, mais inévitablement aussi allaient engranger technologie, savoir-faire et surtout argent. Et plus le temps passerait, plus l'argent resterait là-bas. Si bien qu'aujourd'hui les pays émergents se trouvent en position d'avancer socialement, et économiquement : ceux sont eux les futurs « grands ».
Face à ce danger qu'auraient dû prévoir les armées de conseillers politiques et économiques au service de l'Etat (et payées par le peuple), la seule réaction de nos gouvernants à été dans un premier temps de sauver les banques en endettant ses peuples sur plusieurs générations, de laisser en place les responsables de la crise comme ceux qui ne l'avaient pas vu venir, et ils en viennent même aujourd'hui à exiger de la part des peuples qu'ils ont trahi un effort supplémentaire (c'est à dire de supprimer un à un tous les acquis sociaux) ! Les mesures prises pour faire repartir la croissance sont sinon injustes, au moins inefficaces, et tout semble être fait en dépit du bon sens. Les seules actions concrètes, rédigées et appliquées avec une urgence suspecte, sont la mise en place d'une législation injuste et répressive, ainsi que l'augmentation continuelle des prix....
On devrait s'étonner (sinon être révolté de voir à quel point les gouvernements des pays les plus en crise semblent sourds aux appels du réalisme, même économique : les peuples sont prêts à leur accorder leur aide, mais exigent un minimum d'équité, et on la leur refuse ! Les grandes entreprises, les banques, les riches ne veulent rien lâcher, et continuent comme avant, tête baissée. Mais comment ne pas s'apercevoir qu'en continuant ainsi à mépriser leurs propres peuples, ils finiront par engendrer la révolte, et qu'en proposant de changer les règles du jeu une fois qu'elles ne les servent plus, ils s'attireront les foudres de ces pays désormais puissants ?
Non, je ne peux pas croire que nos gouvernants, avec leurs myriades de conseillers, de services de renseignements, de spécialistes scientifiques, n'aient pas réussi à voir ce qui allait se produire. Je n'y crois pas, car il est impossible pour nos gouvernants de travailler contre leur propre intérêt. Et leur intérêt, c'est justement de se servir de cette crise pour conserver leur position dominante au sein de l'échiquier mondial. Car s'ils laissent courir le système de manière « automatique », alors les pays « développés » d'aujourd'hui seront demain à la place des pays dits « émergents », tandis que ces derniers auront bel et bien émergé. Et s'ils comptent résoudre la crise par des mesures touchant à l'économie de certaines grandes puissances, alors ils se les mettront à dos. Et pendant ce temps-là, le peuple gronde. Ce n'est pas précisément cela qui les affecte, mais plutôt le fait que les échéances électorales finissent toujours par arriver, et le temps presse. Mais quand les mots ne suffisent pas, il y a l'argent, et lorsque l'argent lui-même ne suffit plus, alors il y a la guerre... et tout le monde sait que la guerre, cela fait repartir l'économie. Et c'est bien de cela qu'il s'agit : car plutôt que de laisser la domination changer de mains, les dominants actuels (ainsi que leurs peuples, qui refuseront d'abaisser leur niveau de vie) préfèreront se battre.
Tout ceci, paradoxalement, semble bien éloigné des considérations capitalistes, mais ce n'est pas par hasard : c'est que le capitalisme n'est que le résultat de la volonté des hommes, et plus particulièrement de ceux qui les dirigent. C'est la politique qui décide qu'il est juste que les riches exploitent les pauvres, et qui nous fait accepter que nos pays s'accaparent la majorité des ressources et les gâchent, tandis que d'autres pays, plus grands et plus pauvres, n'ont pas suffisamment à manger. C'est la politique qui se sert du capitalisme pour nous asservir, et nous abrutir avec sa propagande. C'est la politique qui décide des lois injustes, et qui décide de fabriquer des armes. L'argent n'est un problème que pour ceux qui n'en n'ont pas. Pour ceux qui en ont, il existe quelque chose de plus fort, et qui vaut plus que la vie : le pouvoir.
C'est donc à un véritable changement de paradigme que se préparent nos gouvernants actuels, pour lutter contre ce « retournement » du capitalisme. L'enjeu de ce changement est de conserver la position dominante des pays qui dirigent actuellement le monde, et c'est donc à un jeu de dupes auquel participent actuellement les dirigeants de notre belle planète. Le capitalisme n'étant plus capable de protéger le pouvoir des puissants, la politique est en passe de reprendre la main. Pendant que les économistes s'acharnent à trouver des solutions capables de faire repartir la croissance, les politiques s'acharnent, eux, à voir plus loin : ils ne veulent ni protéger le capitalisme ni le niveau de vie de leurs peuples, mais seulement leur pouvoir. Et la seule force qu'ils possèdent encore est la puissance militaire.
Ensuite, et face à ce retournement qu'on pourrait considérer comme « juste » d'un point de vue moral (et oui, chacun son tour !), nos dirigeants ont besoin d'obtenir la légitimité d'utiliser les armes. Il faut pour cela pousser les peuples à un point de rupture, c'est à dire à une tension si forte que seule une crise économique d'envergure peut permettre de créer. Cela implique la définition, la création d'un ennemi extérieur pour rassembler les haines, et d'un ennemi intérieur pour justifier la puissance de l'ennemi extérieur. Et il faut également un renforcement sécuritaire (justice, contrôle, surveillance), cette fois-ci justifié par la présence de l'ennemi intérieur. Ainsi les peuples, au lieu d'envisager ce retournement du capitalisme comme une chance de parvenir à un équilibre plus juste pour le monde, verront dans celui-ci une attaque injuste contre leur « civilisation en danger ». Forts des arguments avancés par ceux qui ne désirent que le pouvoir, ils préfèreront conserver l'injustice de ce monde (avec ses privilèges pour les vainqueurs), que de remettre en cause les dirigeants qui les ont conduit à la perpétuer.
Pourtant, ils auront perdu doublement dans cette affaire : car d'une part ils auront abandonné beaucoup de leur liberté, et d'une autre ils auront empêché les autres d'y accéder. Les seuls gagnants seront ceux qui trichent, mentent, tuent et volent : les tyrans, ceux qui nous font croire depuis toujours que l'injustice est naturelle, et que nous ne sommes que des animaux, incapables de se détacher de notre animalité pour devenir, enfin, des hommes qui partagent au lieu de se voler.
Caleb Irri
calebirri
legrandsoir