Après la Grèce et l’Espagne, voilà que le piège de la crise se referme sur l’Espagne. L’agence de notation financière Moody’s a abaissé les notes de cinq régions espagnoles, avec perspectives négatives, après avoir menacé mercredi d’abaisser la note souveraine de l’Espagne en raison de ses faibles perspectives de croissance. L’agence a abaissé de Aa1 à Aa2 les notes de quatre régions : Castille-et-Leon (centre), Estrémadure (est), Murcie (sud-est) et Madrid. Elle a abaissé de Aa2 à Aa3 la note de la région de Castille-la-Manche (centre). « Les perspectives pour toutes ces régions restent négatives », déclare Moody’s.
En avril dernier, une autre agence, Standard & Poors, avait dégradé la note de l’Espagne de AA+ à AA, assortie d’une perspective négative : ça veut dire que la note est susceptible d’être à nouveau révisée à la baisse si la situation se détériore plus vite que prévu. En mai, c’était au tour de l’agence Fitch de déprécier la note souveraine de l’Espagne, la réduisant de AAA à AA+.
Pauvre Espagne ! La voici traquée à son tour par les marchés financiers comme une bête malade. Malade, elle l’est au plus haut point… C’était un magnifique spécimen de cette économie casino dopée au crédit qui avait présidé au développement de la mondialisation : le « miracle économique espagnol » tant vanté au cours des dernières décennies reposait en réalité largement sur le développement de deux bulles spéculatives – le tourisme et l’immobilier – que la crise mondiale a fait éclater.
Dans les 10 ans ayant précédé la crise, l’économie espagnole avait été gonflée à l’hélium : dix ans de prêts européens à faibles taux qui avaient dopé les dépenses et les investissements. TGV, routes, projets touristiques grandioses… : rien n’était trop beau. Pendant cette période, l’Espagne avait bâti plus de logements neufs que l’Allemagne, la France et l’Italie réunies et les prix de l’immobilier avaient doublé. Toujours durant ces dix années fatidiques, les dépenses de consommation avaient progressé deux fois plus vite que la moyenne européenne et les salaires avaient augmenté de 30%. Le marché du travail avait absorbé 5 millions d’immigrés, dont beaucoup employés dans le secteur du bâtiment…
Quand un marché dopé au crédit se retourne brutalement c’est la catastrophe : à l’overdose de crédit succède la gueule de bois. Fin mai, le Fonds monétaire international (FMI) publiait le diagnostic suivant : « Les défis sont sérieux : un marché du travail dysfonctionnel, l’éclatement de la bulle immobilière, un énorme déficit budgétaire, un secteur privé et une dette externe qui pèsent lourd, une croissance anémique de la productivité, une faible compétitivité et un secteur bancaire présentant des poches de faiblesse. » En 2009, l’économie espagnole s’est contractée de 3,9%. Le boom immobilier a viré à l’horreur économique. Près de la moitié des logements vacants appartiennent aux banques. Fin 2009, la dette externe totale de l’Espagne se montait à 1 735 milliards d’euros, 170% du PIB. Plus de 4 millions de salariés ont perdu leur emploi. Le taux de chômage est à 20%, plus du double de la moyenne européenne ! Un actif espagnol sur 5 est privé d’emploi ! Un million d’immigrés sont au chômage : leur taux est supérieur de 30% à celui des Espagnols.
Le gouvernement Zapatero, qui s’était longtemps obstiné à nier la crise, engage des réformes dans un contexte institutionnel incommode. Il n’exerce qu’un contrôle limité : les régions emploient plus de la moitié des 3 millions de fonctionnaires dans une bureaucratie souvent inefficace et effectuent 57% de la dépense publique.
Fin 2009, les déficits publics espagnols s’élevaient à 11,2% du PIB en 2009. Les mesures adoptées par le gouvernement socialiste visent à les réduire à 6% en 2011 et 3% en 2013. Et voilà que la politique d’austérité lancée vaille que vaille par le gouvernement menace la reprise. En mai dernier, il a nettement révisé à la baisse sa prévision de croissance 2010 : le Produit intérieur brut (PIB) ne devrait progresser que de 1,3% cette année, contre une précédente estimation de 1,8%. Moody’s explique donc sa décision par la faiblesse des perspectives de croissance de l’économie espagnole « plus faibles que celles des autres souverains notés AAA, explique Kathrin Muehlbronner, vice-président de l’agence et analyste en chef pour l’Espagne. À court terme, l’accélération de l’assainissement budgétaire du gouvernement combiné à des coûts d’emprunt plus élevés que connaissent actuellement le gouvernement, les consommateurs et les entreprises, vont probablement ralentir la croissance ».
La malheureuse Espagne est comme un animal pris au collet : plus elle bouge, plus le garrot la cisaille. Quoiqu’elle fasse, ça n’ira pas. Maintenant qu’elle est en plein dans le collimateur des agences de notation, elle n’échappera pas à la dégringolade de ses notes : cela surenchérira ses emprunts et l’enfoncera de plus en plus pendant qu’elle se débattra en vain. Voilà ce qui arrive quand éclatent les bulles spéculatives délirantes.
Après l’Espagne, à qui le tour ?