En suivant les journalistes durant leur séjour auprès d’Anne-Marie SALOMON, ce sont des propos francs, sans langue de bois, qui nous sont offerts et le récit de vie d’une religieuse pas comme les autres. « J’avais envie d’être médecin de campagne, mais je ne comprenais pas ce qui était en moi ; l’idée que j’avais du médecin de campagne ne correspondait pas à ce que je voyais en France. Et quand je suis arrivée en Afrique, j’ai compris que ce désir se réalisait. Cette espèce de rôle de médecin de campagne qui est déjà de cœur avec la population, qui va aider l’un et l’autre à entreprendre quelque chose… qui s’occupe de la scolarité des gamins, qui va peut-être avoir son jardin aussi, et ainsi de suite… »
Jeune femme, elle voulait être et religieuse et médecin mais entrera juste au couvent et deviendra pour la première partie de sa vie professeur de physique/chimie. Sa foi, sa volonté d’être là pour les autres, pour les plus pauvres, la pousse à aller en Afrique, au Mali, et pour plus d’efficacité d’aide l’entraine vers une formation de médecin à plus de quarante ans. C’est cette même motivation d’être au plus près de la pauvreté qui la dirige vers les Touaregs. De sa vie après, peu de choses si ce n’est son temps exclusivement destiné à la médecine, aux centres de soins, aux patients, cette disponibilité constante aux autres mais pas aux remontreurs de bonne conscience venus regarder son travail. De sa situation pendant la période de rébellion au Mali, peu de choses, si ce n’est une prise de conscience des dangers comme si sa vie n’était pas importante et comme si la foi l’aidait en tout.
Sœur Anne-Marie présente aussi et surtout ses projets et la politique médicale du Mali. D’une pratique privilégiée malienne très ethnique voire familiale au début, elle met en place des centres de soins pour tous, nomades ou non où le jour de consultation se fait plus en fonction des problèmes médicaux : gynécologie, sida, tuberculose mais aussi paludisme ou bilharziose. Ses engagements et ses actions aident en partie à l’émancipation des femmes (consultation où elles viennent seules mais aussi prévention, contraception et investissement dans les discours ethnico-médicaux de mariages). L’investissement éducatif est là aussi : à chaque centre de soin une école et vis-versa.
Le plus important reste la conception de l’Afrique de Sœur Anne-Marie, contre une attitude colonialiste, contre la poursuite des relations historiques entre l’Europe et le continent noir d’un dirigeant arrivé avec l’argent confronté à des mains-d’œuvre obéissantes ou résistantes. Elle n’apporte son soutien financier et de moyens que si la population locale a travaillé sur le projet, l’a étudié, se forme pour l’encadrer et le soutenir à long terme. La prise en charge de la population est totale, autant dans les projets de construction des centres de soin ou des écoles (où les dons de livres sont sur des livres francophones mais maliens), que dans le paiement des consultations médicales.
Les à priori sont vilipendés, autant cette politique méprisante de la culture Touareg qu’est le slogan « nourriture contre travail » que la caricature des Africains paresseux où la paresse n’est qu’une vue de l’esprit et une inconscience du contexte climatique du travail. Sœur Anne-Marie n’est pas tendre avec les locaux non plus, sur leur différence de conception de l’hygiène, sur leur absence de prise en charge, sur la corruption ou leur désinvolture culturelle concernant les papiers (de mariage ou de divorce par exemple) ou la position de la femme (cf l’extrait sur les poupées tamasheks).
Le grand point fort de ce livre est aussi pour moi la position de cette sœur sur les occidentaux.
Ce mépris des touristes cochant un lieu et cherchant un guide pour aller tâter de l’éléphant. Leur invasion même si porteurs de bons sentiments et de bonne volonté. Leur ignorance du terrain, ne se souciant pas de l’après eux. « Il existe souvent, chez des gens par ailleurs généreux, une sorte d’inconscience. Ils ne comprennent pas l’Afrique, ils ne savent pas que nous avons besoin d’argent plus que de personnes pour travailler. Les agents, nous en avons. L’argent, il fait toujours défaut. »
Même les associations et les ONG en prennent pour leurs grades. Les interrelations des associations sont acclamées et leur processus pratique d’aide décrit. Mais les stratégies « de dons », la méconnaissance du terrain et des projets à court terme sans suivi des locaux de certaines ONG sont épinglés.
Et puis deux points annexes mais pas tant que cela : la religion et la culture malienne.
La culture malienne dans sa religiosité (pas au sens péjoratif), les gigots d’accouchement mais aussi leurs liens forts à la famille, aux personnages importants comme le marabout (décideur et marieur) ou la forgeronne (la griotte, la conteuse de récits et de nouvelles), la polygamie et la sexualité mais aussi des indications sur les avancées : ce téléphone par exemple qui permet d’être moins pauvre car la population peut quémander des sous à sa famille éloignée.
Les propos sont aussi religieux. Sœur Anne-Marie est une Sœur de la Retraite à la spiritualité ignacienne, proche des jésuites. Et tout le parcours de cette femme semble très emprunt de religiosité (mais pas au sens kitch) : une éducation à la religion avec un contexte de « Propagation de la foi » pour les chinois mais aussi, une fois rentrée au couvent, une démarche poussée vers les autres, un tournant professionnel allant de soi, comme prédestiné, un soutien dans les dangers politiques.
Bien-sûr à la vue de son métier de médecin, Sœur Anne-Marie se positionne sur la contraception : elle est pour la pilule au cas par cas et foncièrement contre l’avortement qu’elle ne pratique pas.
Mais sous ces aspects très religieux apparaissent aussi des « fantaisies » moins rencontrées : de la thérapie par la couleur qui explique la couleur de son boubou, le bleu met en relation avec l’autre, le violet met en relation avec dieu, des dons de guérisseuse pour les brûlures, de sourcière.
Une chose aussi, bien importante dans cette lecture, fut de découvrir la liberté à être religieuse. Anne-Marie SALOMON se décrit électron libre et je soupçonnais une incompatibilité avec l’entrée au couvent. Seulement, les Sœur de la Retraite ont une philosophie très différente. Bien-sûr on retrouve la chasteté, la pauvreté et l’obéissance mais justement cette dernière est comme une gestion de la liberté et non une dépendance à une supérieure. L’ouverture vers le monde et la foi en l’homme sont prégnants.
Une autre lecture sur le Mali et ses Touaregs venant accompagnée celle sur les écoles et la culture : « Enfants des sables, Une école chez les Touaregs » de Moussa AG ASSARID et Ibrahim AG ASSARID