Théodore Monod (1902-2000) était-il un marin ? Ce fou du désert, comme le surnommaient les Bédouins, en fut un, certes : nul n'a oublié ses plongées profondes où il s'emmerveilla, en compagnie du professeur Piccard, de découvrir tant d'eau, tant de nuits dans toutes les directions, là où tout est calme, silence et paix, comme l'avait vu Baudelaire un siècle auparavant. Mais nul doute que ce descendant d'une lignée de pasteurs né à Rouen fut d'abord le " savant pluridisciplinaire " abandonnant aux journaux l'image réductrice de l'apôtre nomade où ils avaient voulu l'enfermer : biologiste, géologue, botaniste, zoologiste, anthropologue, sociologue, philosophe. Encyclopédiste, comme il se définissait lui-même, orienté vers le point de départ de l'aventure humaine. Humaniste de la tradition la plus ancienne, pour qui la compréhension de cette aventure passait par une connaissance approfondie des origines de la vie.Et tout naturellement il devint la clairvoyance même, celle qui fonde la sagesse des meilleurs esprits. Il est vrai, ce hérisson saharien ne fut jamais dupe des progrès de son époque : il les jugeait funestes. Longtemps avant que le sujet ne soit devenu à la mode, il en avait évalué les inconvénients, cerné les principes délétères, avec quelques autres, dont Albert Jacquard n'est pas le moins lucide. Sans doute, après celle, en particulier, des textes fondateurs - il aimait à en reprendre certains passages, désireux d'inscrire son propre questionnement dans la perspective d'un dialogue millénaire avec les dieux - devait-il l'essentiel de son savoir à l'étude des déserts et de leurs habitants. Pour n'être pas la moindre, ce n'eût été là, cependant, qu'une méthode, la première étape d'un parcours scientifique, même déjà exceptionnel. C'est qu'il entendait en effet, par ses observations et ses travaux, les témoignages qu'il multiplia dans la suite, ses cours, apprivoiser un autre monde : celui des temps incertains où il vivait, et de leurs mauvais génies dont l'inconscience lui paraissait chaque jour plus dangereuse que les incidents de route, les menées des pillards, les rixes au bâton autour d'un puits tari, les tornades où ses lecteurs se cramponnaient avec lui au mât de sa tente pour ne pas s'envoler. N'empêche que du sage, il garda toujours la mine la plus souriante, non seulement au milieu de mondes d'avant l'homme et ses civilisations : de retour à Paris, où il était titulaire d'une chaire au Muséum d'histoire naturelle, il souriait encore à sa façon, qui en disait long, soit qu'il fût devenu un peu las ou réellement serein. A la longue, on aurait juré que son visage avait l'âge de ses découvertes, comme rappelant les lieux dont il était peut-être né quand son oeil aguerri à l'expérience de l'éblouissement ne semblait plus uniquement celui d'un sage : la lumière du sable, la traversée des siècles, le décryptage de leurs énigmes, voilà qui avait fini par y ouvrir une brèche aussi profonde que le regard du poète. La photographie en témoigne. et ses oeuvres, parmi lesquelles la plus connue du grand public, Méharées : ce chercheur d'absolu était aussi un poète. Paul Morand, un des premiers cosmopolites de la littérature, aurait pu affirmer que le sable devenait poudre d'or entre ses doigts si lui n'avait préféré les fastes de l'Orient-Express à ceux des caravanes.Pour preuve, s'il en était besoin, les lignes qui suivent : sont-elles d'un savant qui ne serait que cela ? Splendeurs des bupestres, où le métal vert de l'élytre se cloisonne de soufre et d'orangé sur les chatons d'acacias.Tisserlitine. A perte de vue, un cailloutis gris ou brunâtre, disséqué de petits ravins où affleurent des marnes vertes et du gypse. Tristesse infinie. Graviers ensablés. Mais ces pauvres étendues incolores sont jonchées de galets de quartz dépolis : gouttes de lune, grains d'aurore, gelées translucides, jaune pâle, jaune de miel, ambre rosé. De chasseur d'insectes et de plantes, me voici promu chasseur de cailloux : j'en remplis mes poches.Sauterelle verte avec des dessins blancs finement arborescents, rehaussés de lignes carminées. Et plus loin, toujours dans Méharées : Bruyant passage de grues couronnées, cris d'oiseaux ressemblant à des coups rapides sur une enclume d'argent, vols de mouettes à gros becs orangés.Théodore Monod était un grand poète, ce qui, parmi tant de qualités que cet homme réunissait à lui seul, n'était pas peu de chose. NB : Les publications de T. Monod sont très nombreuses. Les plus connues sont disponibles en poche : Méharées, Terre et ciel et L'émeraude des Garamantes (en Babel) - Le chercheur d'absolu (en Folio). A noter enfin, paru chez J'ai Lu, Dictionnaire humaniste et pacifiste.
Théodore Monod (1902-2000) était-il un marin ? Ce fou du désert, comme le surnommaient les Bédouins, en fut un, certes : nul n'a oublié ses plongées profondes où il s'emmerveilla, en compagnie du professeur Piccard, de découvrir tant d'eau, tant de nuits dans toutes les directions, là où tout est calme, silence et paix, comme l'avait vu Baudelaire un siècle auparavant. Mais nul doute que ce descendant d'une lignée de pasteurs né à Rouen fut d'abord le " savant pluridisciplinaire " abandonnant aux journaux l'image réductrice de l'apôtre nomade où ils avaient voulu l'enfermer : biologiste, géologue, botaniste, zoologiste, anthropologue, sociologue, philosophe. Encyclopédiste, comme il se définissait lui-même, orienté vers le point de départ de l'aventure humaine. Humaniste de la tradition la plus ancienne, pour qui la compréhension de cette aventure passait par une connaissance approfondie des origines de la vie.Et tout naturellement il devint la clairvoyance même, celle qui fonde la sagesse des meilleurs esprits. Il est vrai, ce hérisson saharien ne fut jamais dupe des progrès de son époque : il les jugeait funestes. Longtemps avant que le sujet ne soit devenu à la mode, il en avait évalué les inconvénients, cerné les principes délétères, avec quelques autres, dont Albert Jacquard n'est pas le moins lucide. Sans doute, après celle, en particulier, des textes fondateurs - il aimait à en reprendre certains passages, désireux d'inscrire son propre questionnement dans la perspective d'un dialogue millénaire avec les dieux - devait-il l'essentiel de son savoir à l'étude des déserts et de leurs habitants. Pour n'être pas la moindre, ce n'eût été là, cependant, qu'une méthode, la première étape d'un parcours scientifique, même déjà exceptionnel. C'est qu'il entendait en effet, par ses observations et ses travaux, les témoignages qu'il multiplia dans la suite, ses cours, apprivoiser un autre monde : celui des temps incertains où il vivait, et de leurs mauvais génies dont l'inconscience lui paraissait chaque jour plus dangereuse que les incidents de route, les menées des pillards, les rixes au bâton autour d'un puits tari, les tornades où ses lecteurs se cramponnaient avec lui au mât de sa tente pour ne pas s'envoler. N'empêche que du sage, il garda toujours la mine la plus souriante, non seulement au milieu de mondes d'avant l'homme et ses civilisations : de retour à Paris, où il était titulaire d'une chaire au Muséum d'histoire naturelle, il souriait encore à sa façon, qui en disait long, soit qu'il fût devenu un peu las ou réellement serein. A la longue, on aurait juré que son visage avait l'âge de ses découvertes, comme rappelant les lieux dont il était peut-être né quand son oeil aguerri à l'expérience de l'éblouissement ne semblait plus uniquement celui d'un sage : la lumière du sable, la traversée des siècles, le décryptage de leurs énigmes, voilà qui avait fini par y ouvrir une brèche aussi profonde que le regard du poète. La photographie en témoigne. et ses oeuvres, parmi lesquelles la plus connue du grand public, Méharées : ce chercheur d'absolu était aussi un poète. Paul Morand, un des premiers cosmopolites de la littérature, aurait pu affirmer que le sable devenait poudre d'or entre ses doigts si lui n'avait préféré les fastes de l'Orient-Express à ceux des caravanes.Pour preuve, s'il en était besoin, les lignes qui suivent : sont-elles d'un savant qui ne serait que cela ? Splendeurs des bupestres, où le métal vert de l'élytre se cloisonne de soufre et d'orangé sur les chatons d'acacias.Tisserlitine. A perte de vue, un cailloutis gris ou brunâtre, disséqué de petits ravins où affleurent des marnes vertes et du gypse. Tristesse infinie. Graviers ensablés. Mais ces pauvres étendues incolores sont jonchées de galets de quartz dépolis : gouttes de lune, grains d'aurore, gelées translucides, jaune pâle, jaune de miel, ambre rosé. De chasseur d'insectes et de plantes, me voici promu chasseur de cailloux : j'en remplis mes poches.Sauterelle verte avec des dessins blancs finement arborescents, rehaussés de lignes carminées. Et plus loin, toujours dans Méharées : Bruyant passage de grues couronnées, cris d'oiseaux ressemblant à des coups rapides sur une enclume d'argent, vols de mouettes à gros becs orangés.Théodore Monod était un grand poète, ce qui, parmi tant de qualités que cet homme réunissait à lui seul, n'était pas peu de chose. NB : Les publications de T. Monod sont très nombreuses. Les plus connues sont disponibles en poche : Méharées, Terre et ciel et L'émeraude des Garamantes (en Babel) - Le chercheur d'absolu (en Folio). A noter enfin, paru chez J'ai Lu, Dictionnaire humaniste et pacifiste.