Laurent Margantin publie La
Main de Sable, aux éditions publie.net. On peut lire à propos de ce livre le
Journal de lecture de Florence Trocmé, en cours de publication ici
/draps
Cette odeur, c’était celle de la chambre de jadis, c’était celle des corps qui
s’étaient mis dans ces draps et s’en étaient couverts, enveloppés. Il lui
suffisait d’ouvrir la porte de la pièce et surgissait alors l’ancienne maison. Comment
ces draps, lavés à de nombreuses reprises depuis leur disparition, avaient-ils
pu conserver l’odeur ? Malgré le temps et le changement d'habitation, ils n’avaient
pas laissé s’échapper cette présence humaine si longue et ancienne en eux. Certaines
matières alors conservaient quelque trace des corps morts : pellicule, tissu,
quoi encore ? Il se mit à chercher fiévreusement d’autres de ces matières qui auraient
pu garder en elles une dimension de leurs corps depuis longtemps disparus, mais
retourna finalement à ces draps au subtil parfum de lessive et de sueur.
/homme
Son visage derrière la vitre. Un temps gris et pluvieux. Lui marchant sur un
chemin bourbeux, tête baissée, vêtu d’un long manteau. Son silence. Sa
distance. Le fleuve qui passait en bas de la maison. Les livres qu’il collectionnait,
dont les siens, dans une bibliothèque invisible, ou peut-être aménagée dans ses
propres oeuvres. Une vie quasiment inconnue, seuls quelques actes répétés :
marcher le long du fleuve, s’asseoir dans un fauteuil, rouler en voiture sur
des petites routes champêtres. L’aspect confortable de cette existence retraitée.
Des livres arrivaient par la poste. Des amis lui rendaient visite, des inconnus
passaient pour se prosterner en silence. Son écriture était renforcée année
après année par cette posture lointaine, magnétisant le lecteur dans un
éloignement toujours plus grand. Son visage derrière la vitre : le voyant, on
se disait que cet homme si seul gouvernait quelque contrée inconnue.
/pays
Il allait revenir non pas au point de départ, mais à un lieu évanoui, tellement
évanoui qu’il ne savait même plus s’il avait jamais existé. Puis il se
réveillait. Des peintures étaient accrochées aux murs, toutes représentant soi-disant
une parcelle du lieu. Je me serais bien projeté dans celui-là, se disait-il en
observant une toile. C’était une cabane habitée mais devant laquelle des pans
de tôle avaient été jetés. Ce n’était pas l’enfance, non, c’était plus que
cela. Les réminiscences étaient alors purement fictives, il le savait
désormais. Il aurait souhaité parcourir la terre entière, conscient de ne plus pouvoir
se souvenir, de ne plus jamais être capable de reconnaître un lieu.
Laurent Margantin, La Main de
Sable, publie.net 2010, pp. 99, 106 & 118.
On peut feuilleter
ici les 25 premières pages de ce livre.
Laurent Margantin dans Poezibao :
Bio-bibliographie,
extrait
1, deux
traductions de Walter Helmut Fritz, extrait
2,
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