Boeing, entreprise d’ordinaire discrčte et prudente, clame que le jugement que vient de rendre l’Organisation mondiale du commerce est historique en męme temps qu’il constitue une victoire juridique. Airbus, ŕ l’inverse, exprime sa satisfaction ŕ la suite du rejet d’une partie des récriminations américaines. Et ajoute qu’il s’agit maintenant d’attendre l’avis de l’OMC sur …les subventions que recevrait son grand concurrent. De toute maničre, l’Europe fera appel, refusant que des avances remboursables soient vues par les Américains comme des subventions ŕ proprement parler en męme temps que des aides ŕ l’exportation tout ŕ fait prohibées par les rčgles du commerce mondial.
Satisfaction ŕ Bruxelles et ŕ Toulouse, par ailleurs, parce qu’il est dit clairement que les Etats-Unis n’ont pas subi de préjudice matériel, qu’ils n’ont pas perdu d’emplois ou souffert de résultats financiers amoindris ou encore de l’impact de prix qu’Airbus aurait cassés. De plus, les demandes de réparation sont jugées irrecevables.
A vrai dire, en prenant un minimum de recul, ce nouvel épisode rappelle immanquablement le film américain ŤUn Jour sans finť interprété par Bill Murray et Andie MacDowell, l’histoire d’un éternel recommencement. Le personnage central y revit sans cesse la męme journée sans parvenir ŕ briser ce cercle vicieux et ŕ en sortir.
Boeing et Airbus, rivaux qui ne manquent jamais une occasion de s’accuser des pires maux de la plančte aviation, poursuivent une curieuse escalade ŕ l’OMC en oubliant qu’ils n’en sont pas les vrais acteurs, les premiers rôles étant tenus par la haute administration américaine (U.S. Trade Representative) et l’Union européenne. C’est une affaire d’Etats.
Il convient d’admettre qu’aucune des deux parties n’a tout ŕ fait tort ou raison mais, dans le cas présent, il ne fait pas de doute que les Etats-Unis viennent de marquer des points, au niveau des principes tout au moins. Cela trčs probablement sans que des résultats concrets puissent ętre espérés ŕ Washington et Seattle, compte tenu des nouveaux épisodes ŕ venir. Un commentaire d’Yves Galland, président de Boeing France, incite cependant ŕ la réflexion : Ťplus de 40 ans aprčs sa création, Airbus doit ętre autonome et se comporter comme une véritable entreprise commerciale, sans le soutien des contribuablesť. On pourrait évidemment lui répondre que les contribuables européens sont heureux d’apporter leur soutien ŕ Airbus, qui le leur rend bien. Et que leurs homologues américains, bien que sollicités autrement, soutiennent Boeing ŕ leur maničre. D’oů ce jour sans fin d’un nouveau type.
Pendant que se poursuit le match, les autorités russes et chinoises injectent tranquillement des sommes considérables dans le développement de futurs concurrents des gammes 737 et A320. Doit-on y voir les prémices d’autres actions musclées ŕ l’OMC ? Imagine-t-on les conséquences politiques d’une telle éventualité ? Certes, le jour sans fin va recommencer, encore et encore, mais pourrait bien ne pas connaître d’épilogue. Personne n’ose le dire tout haut mais il apparaît de plus en plus clairement qu’il s’agit d’un combat d’arričre-garde.
Entre-temps, les dommages collatéraux n’en risquent pas moins d’ętre sévčres. Déjŕ, une méchante rumeur court outre-Atlantique, ŕ savoir l’intention secrčte d’Airbus/EADS de casser les prix du ravitailleur proposé au Pentagone dans le cadre du programme KC-X. Cela, on l’a deviné, parce que les contribuables européens, encore eux, feraient l’appoint dans la coulisse. L’accusation est risible, certes, mais ne fait rire que d’un seul côté de l’océan.
De plus, les adversaires d’Airbus oublient de préciser la spécificité d’une industrie aéronautique devenue tout ŕ fait mondiale, qui met sur le marché des produits quasiment apatrides. Le ravitailleur KC-767A, version militarisée du long-courrier 767, est partiellement construit au Japon et en Italie et fait appel ŕ de nombreux fournisseurs situés tout autour du globe. De męme, l’A330-200 militarisé qui lui est opposé est américain ŕ hauteur de 57% au moins. Et, en cas de victoire, il serait assemblé dans l’Alabama.
Tout cela, nombre d’Américains ne veulent pas l’entendre. Comme en toute chose, ils ne supportent pas le principe de la moindre intervention étatique dans l’économie et, voyant le mal partout, considčrent Airbus comme un opposant dangereux, voire malsain. Pire, Airbus et sa maison-mčre EADS souffrent aux Etats-Unis d’une image faussée, notamment dans les milieux politiques, celle d’entreprises dont la vocation véritable serait de créer des emplois de haut niveau sans grandes préoccupations de finances saines. Une critique qui mériterait de déclencher une contre-attaque de la plus grande fermeté. Laquelle se fait singuličrement attendre.
Pierre Sparaco - AeroMorning