Olivier Boura
Arléa, 1993
« Voyez l'espace infini : nous pouvions, naguère, y loger les peuples sans nombre de la science-fiction. Aujourd'hui, l'espace lui-même se racornit comme une peau de chagrin, chaque mission spatiale nous ramène quelque désillusion nouvelle ».
Olivier Boura, dans l'introduction de son étonnante anthologie, ne se montre guère optimiste. On peut comprendre sa déception quant aux rêves de découverte de vie sur Mars, par exemple. La Planète Rouge n'est plus ce qu'elle était. La science-fiction, pourtant, ne l'a pas abandonnée, comme en témoignait tout récemment, nos lecteurs s'en souviennent, un numéro spécial de YS consacré à Mars. Et les déceptions de la conquête spatiale ne semblent guère décourager les auteurs de SF, nous nous en félicitons tous les jours (tout au moins ceux d'entre nous qui lisent l'anglais). C'est beaucoup dire que « l'espace se racornit comme une peau de chagrin », il reste encore de la place, pas d'inquiétude à ce sujet.
C'est que les préoccupations d'Olivier Boura sont centrées sur notre globe et son passé, et que les comparaisons avec l'espace interplanétaire (pour ne rien dire de l'interstellaire) ne servent guère son propos. Il cite bien Lovecraft, mais pour en faire, encore une fois, un personnage « pauvre », « malheureux » et « peut-être un peu fou ». Décidément, le Lovecraft légendaire a la peau bien plus dure que le Lovecraft réel. C'est un peu comme l'Atlantide.
Ne faisons pas un mauvais procès à Olivier Boura pour une connaissance fragmentaire de la SF et de ses ambitions, ou pour un emploi trop désinvolte, dans la présentation à son anthologie, du Lovecraft illuminé de pacotille que l'on nous assène en France depuis les années cinquante.
D'abord, parce qu'il nous ressert, fort astucieusement, le scénario des Mémoires du futur de John Atkins :
« Dans quelques centaines d'années, quelques millénaires, notre civilisation aura passé, sans doute, et il ne restera rien, ou presque, de nos bibliothèques. Imaginons, cependant que par miracle, quelques pages subsistent des écrits de Lovecraft ; des pages où il serait question du Necronomicon ou de ces dieux étranges et maritimes. Que penseront alors nos arrière-neveux ? Il y a fort à parier qu'ils se divisent en deux camps, comme nous, à présent, qui voulons croire à l'Atlantide, ou bien n'y voir qu'invention, littérature et symbole ».
Cette fois, l'analogie nous parle vraiment. Ensuite, parce que le travail d'Olivier Boura est extrêmement précieux. Précieux pour le curieux de théories bizarres, l'amateur de légendes, mais aussi l'écrivain de SF ou de Fantasy qui veut en savoir plus sur une mythologie qu'il pille en général sans vergogne. Les Atlantides constitue en effet une anthologie d'une cinquantaine de textes, souvent rares et parfois jamais traduits en français jusqu'ici, sur la légende de l'Atlantide, soigneusement classés en différentes catégories : antiques, américaines et atlantiques, nordiques, africaines et ibériques, etc. Bien sûr, et l'anthologiste en est pleinement conscient, il est hors de question d'être complet. Comme il le rappelle lui-même, Roux et Gattefossé, deux obsédés de l'Atlantide, avaient dressé dans les années vingt un catalogue comptant plus de mille sept cents références consacrées au continent englouti ! Inutile de préciser que, depuis cette époque, le flot de publications sur le sujet ne s'est guère tari... Olivier Boura prend également la peine de faire précéder chaque vecteur du mythe qu'il a exhumé d'une notice de présentation, qui permet de le replacer dans son contexte. Sage et indispensable précaution, compte tenu de l'extrême confusion qui règne dans ce domaine plutôt chimérique. On reste rêveur devant la variété des métamorphoses que la fable de Platon (car il s'agissait bien d'une fable !) dut subir au cours des siècles. L'explosion est particulièrement spectaculaire après la période du Moyen Âge chrétien qui, du fait de son adhésion littérale à l'histoire et la chronologie bibliques, ne pouvait laisser de place à l'Atlantide. La découverte de l'Amérique ouvrira bientôt la porte à toutes les spéculations, notamment en ce qui concerne son emplacement, des plus variables selon les auteurs. Soulignons l'importance, pour la fin du XIXe siècle, de l'ouvrage d'Ignatius Donnelly, Atlantis, the Antediluvian World (1882), qui un fut un best-seller de l'époque et influença un grand nombre de théoriciens excentriques et d'écrivains de fiction. Dans son recueil de souvenirs, Astounding Days, Arthur C. Clarke en personne avoue avoir pris cet ouvrage très au sérieux dans sa jeunesse ! Inexplicablement, ce texte, extrêmement célèbre dans tout l'univers anglo-saxon, et régulièrement réédité jusqu'à aujourd'hui (avec l'autre essai de Donnelly, Ragnarök, the Age of Fire and Gravel, qui conte la collision, dans un lointain passé, de la Terre avec une comète, cause, on s'en doutait bien, de la destruction de l'Atlantide) reste inédit en français. Olivier Boura nous en propose un court extrait. Autre Atlantide notable, mais beaucoup plus inquiétante, l'Atlantide nordique d'Hermann Wirth, à laquelle adhérait le théoricien nazi Alfred Rosenberg, qui la cita dans son indigeste et néfaste Mythe du vingtième siècle... Olivier Boura, heureusement, n'a garde d'oublier les romanciers et les poètes. Du côté des poètes, on trouvera le Catalan Jacinto Verdaguer, dont L'Atlantide inspira le compositeur Manuel de Falla. Pour sa part, l'amateur de vieille SF relira avec émotion un extrait d'Atlantis, d'André Laurie (1895), accompagné d'une élégante illustration extraite de l'édition Hetzel de l'ouvrage. Évidemment, les esprits chagrins pourront déplorer que l'anthologie ne nous propose pas d'extraits de romans un peu moins connus comme L'Antarctique, de Sévriat (1923), qui place l'Atlantide en... Antarctique (il fallait oser), Les Atlantes (1905), la monumentale épopée (400 pages bien denses, avec de somptueuses illustrations de René Lelong) de Lomon et Gheusi, Du fond des âges, chronique de la race noyée (1948), de J.A.C. Landy (avec une carte et des sanguines) ou encore Atla, a Story of the Lost Island (1886), de Mrs. J. Gregory Smith, pour citer des titres qui me viennent immédiatement à l'esprit. La liste est presque sans fin, et il y a là matière à plusieurs volumes de la taille de l'anthologie d'Olivier Boura. Mais, telle quelle, celle-ci peut prendre place sans rougir aux côtés d'études comme L'Atlantide, exposé des hypothèses relatives à l'énigme de l'Atlandide, de Bessmertny (précieuse notamment en ce qui concerne les Atlantides germaniques), Le livre des Atlantides, de J. Imbelloni et A. Vivante (ouvrage étourdissant d'érudition), Lost Continents, de Sprague de Camp (un grand classique), De l'Atlantide à l'Eldorado, de Willy Ley et Sprague de Camp (complément utile au précédent), et, bien sûr, les merveilleuses Atlantean Chronicles de Henry M. Eichner qui, bien que tombant parfois dans l'hétéroclitisme, présentent un chapitre copieux et irremplaçable sur le mythe de l'Atlantide dans la fiction. On en conviendra, ce n'est pas un mince honneur de mettre Les Atlantides d'Olivier Boura en telle compagnie. Joseph Altairac