Ce 30 juin 2010 à 10h du matin, je lance un exercice avec un groupe de journalistes « papier », qui viennent s’initier au « web ». Une mise en pratique. Auparavant, j’avais expliqué et insisté —entre autres— sur l’importance de Twitter comme source d’information, sur la complémentarité des réseaux sociaux, sur le fait que les sites d’information et les journalistes étaient soumis désormais à une rude concurrence en terme de rapidité et de réactivité… Mais je ne pensais pas qu’un député UMP permettrait d’illustrer à ce point mon propos.
Ce matin du 30 juin, donc le choix de quelques journalistes en formation est de traiter du football français. Leur point de départ: l’audition de Raymond Domenech et Jean-Pierre Escalette devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. A priori, il ne fallait pas attendre grand chose de cette séance, R. Domenech ayant obtenu que cette audition, qui devait être initialement retransmise par la Chaîne Parlementaire et Eurosport, se déroule à huis-clos.
Mais nous sommes à l’ère de « l’information Twitter », et un député, Lionel Tardy, féru de nouvelles technologies, a décidé de tweeter en public la rencontre (un extrait de ses tweets ci-dessous et son fil ici):
J’ignore le règlement de l’Assemblée nationale prévoit dans ce cas de figure, mais en terme d’information que signifie son acte?:
- c’est la confirmation, qu’une « source » est toujours prête à parler [le fameux "traître" de Patrick Evra], y compris dans lieux présumés secrets. Pour une fois, l’opération de dévoilement est publique ce qui la rend d’autant plus spectaculaire, car c’est rarement le cas. Peut-être faut-il parler sur ce point au passé; quelques heures plus tard, ce même 30 juin, un autre député UMP, Yannick Favennec, tweetait ce qui se passait lors d’une réunion avec Nicolas Sarkozy. Une annonce qui était reprise comme un fait politique majeure par lemonde.fr ou lefigaro.fr en s’appuyant sur cette seule source, reprise par une dépêche AFP :
- l’information est « désintermédiatisée ». Lionel Tardy de « source » et devenu acteur de l’information. On imagine la frustration des journalistes qui étaient à l’entrée de la salle et lisaient sur leur smartphone les tweets du député.
- l’évolution technologique rend extrêmement facile pour les « amateurs » de produire de l’information et ici je pense en particulier à la qualité des vidéos qu’à prise ce député et qu’il a uploadé sur son FB
- les sites d’infos à la seule exception du Monde.fr (voir ci-dessous), qui reprendra d’ailleurs l’un des tweets de L. Tardy en titre, doivent revoir leurs procédures de veille sur Twitter. En effet, des sites pourtant spécialisés dans le sport (L’Équipe) ou connu pour leur réactivité (20mn, Libé, Nouvel Obs…) sont sur cette info « à la ramasse ». Ils se rattraperont par la suite [en utilisant les tweets de L. Tardy comme matière première d'ailleurs], mais seulement par la suite…
- la question déontologique. Les journalistes avec lesquels je me trouvais se sont immédiatement demandés s’ils auraient repris les tweets du député pour le site de leur journal. Faut-il considérer cette réaction comme old fashion? Le fait est qu’elle fut unanime parmi les participants à cette formation. Il ne s’agissait pas d’une défiance vis-à-vis de l’outil (Twitter) mais leur réticence tenait au fait que l’auteur des tweets —un député— transgressait la réglementation de l’Assemblée nationale, le lieu où l’on fait les lois. Question ouverte donc: faut-il se ranger à l’avis de Jean-Jacques Bourdin, de RMC, qui, sur son blog, titre « laisser tweeter Tardy« ? La discussion se poursuit en tout cas sur #laisseztweetertardy.
- la qualité de l’information. C’est le problème de la source unique. Ce n’est guère un souci dans le cas qui nous occupe, mais si ce procédé [un acteur tweete d'un lieu présumé clos] se généralise, la question de la manipulation de l’information se posera inévitablement.