Nous avions quitté le Prince de Galles alors qu’il dévalait l’escalier de la plus haute tour de Balmoral Castle, Écosse.
Charles se tient debout devant la large porte d’entrée en bois de chêne. Derrière lui, le lierre lancé à l’assaut de la façade principale rougeoie dans les dernières lueurs du crépuscule. Un feulement sourd traverse l’air froid. Charles reconnait le son moelleux émis par les entrailles mécaniques d’un moteur britannique qui a écrit l’histoire. Une carrosserie à la mesure du galbe d’Ursula Andress qui l’habita avec grâce en 1965, pendant que Sean Connery se chargeait des vilains.
Le grondement velouté du moteur se matérialise et les pneus souples d’une Aston Martin DB5 grise font tendrement crisser le gravier de l’allée. L’Aston s’immobilise. Une silhouette sombre émerge de l’habitacle. Dans l’obscurité naissante, Charles devine la même masse de boucles lourdes, le même pas élastique. Le temps s’arrête.
Le visage de Camillus rentre peu à peu dans la lumière, et c’est le choc. C’est le même visage. Le visage aimé. Il y a bien quelques rides et quelques ombres de plus. Les yeux se sont peut-être un peu creusés. Mais la bouche est toujours pleine et le nez arrogant. Les boucles sont épaisses et d’un roux flamboyant, qui pâlit à peine sur les côtés. Charles est saisi. D’un seul coup, leurs regards se croisent, leurs mains se touchent et se prennent. Ils se sourient sans pouvoir se parler, encore. Leurs mains se serrent et ils se sourient, encore.
Septembre est saisi et se fige pour regarder deux hommes qui se sourient sur le perron de Balmoral Castle.